La musique antillaise accouche d’un pianiste prodige qui flâne résolument du côté du meilleur jazz. Parce qu’elle évoque à plein nez le tourisme béat, le punch planteur et les acras de morue, la musique antillaise souffre auprès des gens de goût (?) d’une réputation peu flatteuse fondée sur le souvenir épuisant de bals dansants animés […]
La musique antillaise accouche d’un pianiste prodige qui flâne résolument du côté du meilleur jazz.
Parce qu’elle évoque à plein nez le tourisme béat, le punch planteur et les acras de morue, la musique antillaise souffre auprès des gens de goût (?) d’une réputation peu flatteuse fondée sur le souvenir épuisant de bals dansants animés par des orchestres de zouk en chemises de soie turquoise et de chansons gentiment salaces gazouillées en créole par de beaux adonis couleur café. D’où la curiosité qu’inspire Mario Canonge, jeune pianiste martiniquais qui, depuis que le bedot l’a laissé pianoter sur l’harmonium de l’église de Sainte-Thérèse, n’a eu de cesse d’explorer tous les chemins des folklores insulaires qui finissent parfois sur la piste de décollage des notoriétés les mieux hissées. Doué d’une agilité technique l’autorisant à passer sans effort de la biguine au compas haïtien, de la mazurka à la salsa, ce super Mario est désormais en mesure de laisser derrière lui ces inventaires de style pour ne plus présenter que cette formidable fluidité harmonique qui l’intronise, selon les dires un rien provocateurs de notre confrère Rémy Kolpa Kopoul, meilleur pianiste de jazz français du moment. Dans les interstices laissés par un impressionnant rendement il a joué sur plus de 200 albums et traversé toutes les jungles rythmiques caribéennes , Canonge a su soigner une inventivité et une audace qui lui ont permis de servir des projets plus hardcore comme Ultramarine, groupe de fusion qu’il fonde en 83, ou Sakyo, formation articulée autour de Michel Albo, du groupe Sixun, et lui-même.
Boulimique de nature, il va multiplier les collaborations, accompagnant au gré des séances Dee Dee Bridgewater et Nicole Croisille (the french Barbra Streisand ?) sans toutefois compromettre son penchant pour les aventures en terrain (nouvelle) vague ni son attache pour les chaloupes sucrées de son île natale. Un premier album solo, explicitement intitulé Retour aux sources, enregistré avec le groupe Kann’ devenu aujourd’hui sa base instrumentale sur scène, distribuait coups de soleil et rasades de sirop de joie. Avec le second, Arômes caraïbes, Canonge vient carrément garer son estafette de marchand de crème glacée devant l’école et propose aux gourmands un large choix de parfums métissés. Entre Kassav et Eddie Palmieri, zouk et salsa, il surprend aussi par un raffinement mélodique qui imprègne son jeu au piano, toujours fruité, toujours reposé et délassant, comme son écriture digne par moment du Stevie Wonder de la veine tropicale (Fullfillingness first finale), augurant d’une carrière de compositeur qui pourrait rapidement surpasser en renom celle de l’instrumentiste surbooké. Sans chercher à lui donner une respectabilité dont elle n’a que faire, Mario Canonge renouvelle la musique antillaise en lui ouvrant une voie seigneuriale vers le jazz. Voilà qui pourrait en inciter quelques-uns à réviser leur jugement péremptoire sur le sujet.