Donné pour mort ou pour ringard, Public Enemy reste un exemple d’à-propos, de virulence et d’engagement. Ici et là, la rumeur enfle : Public Enemy serait hors jeu, ringard, voire sénile, victime de la malédiction de tous ceux qui ont eu un jour le malheur de tutoyer l’excellence. Faute de renouvellement, leur discours serait passé […]
Donné pour mort ou pour ringard, Public Enemy reste un exemple d’à-propos, de virulence et d’engagement.
Ici et là, la rumeur enfle : Public Enemy serait hors jeu, ringard, voire sénile, victime de la malédiction de tous ceux qui ont eu un jour le malheur de tutoyer l’excellence. Faute de renouvellement, leur discours serait passé de vital à dispensable. De novateur, leur son serait désormais convenu. Certes, on le concède volontiers, ce disque n’est pas leur meilleur à ce jour. Mais y a-t-il lieu de disqualifier Chuck D et les siens tant qu’ils restent fidèles à leurs engagements ? Personne ne les ayant remplacés sur le terrain du rap militant, pas question de leur demander de « changer de disque » à l’heure du lavage de cerveau généralisé. Alors oui, on peut ne pas avoir la force ni l’envie de s’appuyer douze titres rageurs, ni de faire travailler ses méninges au coeur de l’été pour décrypter leur message indigné. Mais ce serait passer à côté d’un brûlot sacrément lucide pour une bande de vieux fous largués. La révolution Internet (l’appel Do you wanna go our way ), le clonage (ironique First the sheep, next the shepherd) et les sans-abri (poignant I) constituent quelques-uns des nouveaux thèmes abordés par cette machine de guerre implacable dont les cibles favorites restent les poisons du système, du pouvoir et de l’industrie. Cette dernière est particulièrement soignée, avec l’enragé Swindler’s lust, l’une des plus féroces diatribes jamais écrites à ce sujet, qui n’hésite pas à remonter jusqu’à l’arnaque dont furent victimes les premiers bluesmen. De leur côté, les radios « complices » et leur programmateurs « achetés » se cognent l’uppercut saignant Crayola, dont l’humour ravageur tempère à peine la virulence. Idéaliste rêvant d’un monde meilleur, Chuck D pense avoir trouvé la solution : Internet. Depuis son dernier véritable album, Muse sick-n-hour mess age (1994), Public Enemy a enfin réussi à se libérer des griffes de son label Def Jam et a choisi de tout miser sur ce médium prometteur. En signant chez Atomic Pop, un label « en ligne », il restera dans l’histoire comme le premier grand groupe de rap à avoir proposé un album à la vente sur le Web deux mois avant sa mise en vente dans le commerce. Pour autant, Chuck D n’est pas totalement dupe d’Internet : comme le laissent entendre la pochette et Crash, un message apocalyptique digne du film Matrix, il redoute par-dessus tout de voir les Afro-Américains louper le coche des nouvelles technologies et ne jamais s’en relever. Moins doué en futurologie, le jocker Flavor Flav effectue un retour en grande forme sur 41:19, une savoureuse fable sur la brutalité policière, cousine du génial 911 is a joke. Dommage qu’il ait cru bon ensuite de nous infliger What what, un hymne fêtard aux rimes faiblardes dont il signe la production. Le monumental Bomb Squad n’étant plus de la partie, c’est à un certain Tom E. Hawks que revient la périlleuse mission d’honorer la puissance de feu verbale du duo. Epaulé aux platines par Terminator X, évadé de son élevage d’autruches (si !), cet inconnu a concocté un son musclé combinant le swing et l’âpreté, Temptations et gros riffs rock, qui, sans égaler la complexité de ses prédécesseurs, s’en tire honorablement. Album consistant, stratégie visionnaire : qui dit mieux pour un groupe soi-disant rongé par les vers ?