Depuis maintenant plusieurs mois, des Marseillais postent régulièrement des vidéos sur Internet. Leur objectif : démonter, autant que possible, l’événement « Marseille 2013, Capitale européenne de la culture ».
Le rendez-vous est fixé dans un vieil immeuble du centre-ville marseillais. La porte de l’appartement est déjà entrouverte lorsque nous arrivons. A l’intérieur, quatre hommes et une femme, assis devant une cheminée inactive. Leurs visages sont masqués. Le plus loufoque, perché sur un escabeau, a choisi de troquer la cagoule pour un foulard imprimé, une paire de lunettes de soleil et un bonnet en laine, de peur que l’on reconnaisse sa coupe de cheveux. Les autres ont préféré la sobriété. Un jean sombre, un pull et Radio Classique en bruit de fond.
Il y a près d’un an, cette bande de Marseillais s’est constituée en collectif. « Un collectif informel et à géométrie variable » baptisé le Fric pour « Front des réfractaires contre l’intoxication par la culture ». Leur cible : Marseille 2013 et la politique d’aménagement du territoire. Ayant constaté que la majorité des projets culturels seraient installés sur des sites en rénovation urbaine, il n’était pas difficile, selon eux, de faire le lien entre culture et économie. Un appât du gain qu’ils dénoncent dans leurs communiqués, postés sur Internet sous forme de vidéos. Ils y évoquent le « mépris » des autorités locales pour les Marseillais, la « stratégie du pourrissement » qui consiste à abandonner la population des quartiers populaires pour mieux accueillir les promoteurs immobiliers. Parce que contrairement aux autres villes françaises, le cœur de la Cité phocéenne est populaire et métissé.
Il y a bien longtemps que la bourgeoisie marseillaise a fui le brouhaha de la Canebière et du Vieux-Port pour s’installer dans les maisons cossues au sud de la ville. Mais aujourd’hui, les autorités entendent bien changer l’image de la deuxième ville de France. « Fini Marseille, la grande gueule, Marseille, la ville ouvrière. C’est une reprise en main« , estime le collectif. »Ils l’ont bien dit, Marseille 2013 est ‘une machine de guerre’ qui va leur permettre de gagner dix ans sur la rénovation urbaine. C’est un message aux investisseurs: Marseille est rentré dans le rang« , indique l’un d’entre eux.
« Foutage de gueule »
Pour le Fric, « Marseille, capitale européenne de la culture » n’est donc que « la cerise sur le gâteau », « une opération qui parachève le traitement infligé à cette ville« . L’objectif étant « de se débarrasser de la moitié de la population » pour entériner la renaissance économique de la ville. « On dénonce la culture comme un outil d’aménagement du territoire mis au service du monde économique« , lâche l’un des membres qui, au passage, rappelle que Jacques Pfister, président de MP 2013 est aussi le président de la Chambre de commerce et d’industrie de Marseille-Provence. « Au lieu de s’appuyer sur le savoir-faire des Marseillais, ils font venir des gens de l’extérieur, s’agace le plus bavard. Il y a une espèce d’angélisme de l’artiste qui débarque pour n’apporter que le meilleur. »
On a bien compris, le Fric rejette le In, mais qu’en est-il du Off, ce festival « impertinent » organisé en même temps que Marseille 2013? « La directrice du Off a prétendu valider les propos de nos communiqués mais le Off, c’est les rejetons du In, le guichet des peureuses. » Le Fric n’épargne pas non plus la manière dont les médias couvrent Marseille 2013. « Un traitement univoque, distant qui vise à vendre du papier », selon eux. « Si on dit du mal de MP 2013, c’est un peu comme si on était des sympathisants du III° Reich« , renchérit le blouson noir.
Militants mexicains
Le Fric publie une vidéo par mois. Des vidéos dans lesquelles ses membres transforment leur voix et apparaissent toujours masqués. Au visionnage, on ne peut s’empêcher de faire le lien avec les indépendantistes corses mais le Fric est allé puiser son inspiration bien plus loin :
« C’est une référence aux zapatistes du Chiapas. Dans les années 1980, ces indigènes mexicains se sont battus pour conserver leurs terres agricoles. Ils ont dit ‘Nous les indigènes, nous sommes invisibles, nous allons donc nous masquer pour devenir visibles‘ », explique l’un des hommes.
Mise à part cette référence militante, impossible d’obtenir d’autres détails sur les inspirations idéologiques du Fric ou l’activité de ses membres. Seul indice : un exemplaire du mensuel marseillais « à critique sociale » Ce qu’il faut détruire (CQFD) traine sur la table basse. Combien sont-ils? Mystère. Commet s’appellent-ils? Mystère. Pour seule réponse, un avertissement : « Si un tombe, dix se lèvent » et une critique :
« Le premier truc des médias est de personnaliser tout ce qui présente un aspect collectif. Aucun intérêt à dire ‘quand j’étais petit, j’avais un papa communiste’, fait remarquer le pull beige, Aucun d’entre nous n’est indispensable au Fric. L’essentiel est le message que l’on véhicule ».
Et, selon eux, « le message commence à bien circuler. Il fonctionne avec le bouche-à-oreille ». « Nous avons tissé des liens avec de nombreux quartiers, on a des sympathisants en ville » expliquent-ils.
Dans leur dernière vidéo, le collectif a tenu à rendre hommage aux quartiers Nord et plus particulièrement aux associations qui ont décidé de se retirer des Quartiers créatifs, manifestations culturelles organisées par Marseille 2013 dans les cités. Elles aussi se plaignent du « mépris » des décideurs et de l’omniprésence d’une culture jugée élitiste. Dans le communiqué Le Fric triomphe, les auteurs se veulent visionnaires : « On pourrait penser que c’est une plaisanterie mais on avait prévenu. Avant même l’inauguration, la population est indifférente« . Une indifférence qui commence à sérieusement inquiéter les organisateurs.
Fériel Alouti
[En couverture des Inrockuptibles cette semaine : « La culture peut-elle sauver Marseille ? »]