La nouvelle fiction de France 2 plonge dans l’univers de la cuisine. Il en sort un drame filial plutôt aiguisé. Une bonne surprise.
Ces dernières années, le service public, hors Arte, a eu très peu d’occasions d’exalter les passions sériephiles – ceci est un euphémisme –, la seule exception à cette déprimante règle, Fais pas ci, fais pas ça, n’atteignant pas non plus toujours le nirvana. L’idée qu’un art de la série populaire contemporaine puisse finalement émerger en France commençait à se dissoudre dans l’air ambiant, peu propice à la rêverie. L’arrivée des six épisodes de Chefs sur France 2 marque une date puisqu’on a eu envie de la regarder jusqu’au bout. Elle sera suivie, on l’espère, de quelques autres signes de réveil durable dans les mois à venir. Les Témoins, signée par le duo Hadmar/Herpoux (Pigalle, la nuit), se profile à l’horizon.
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Le coma profond serait-il donc derrière nous ? Rassurons les sceptiques professionnels, nous ne tenons pas encore Les Soprano français ni une série mainstream de la force de The Good Wife. Mais tout de même. Chefs est portée par un point de vue, ce qui par les temps qui courent signifie déjà beaucoup dans le paysage hexagonal. Son terreau, idée assez judicieuse, est justement l’un des derniers bastions de la “fierté française”, la cuisine. Le personnage principal n’a pas de prénom, on l’appelle seulement “chef” et il vaut mieux ne pas tenter d’enfreindre la règle étant donné son caractère décoiffant. Il promène son regard hanté et néanmoins habité (Clovis Cornillac, parfois en roue libre) dans son restaurant qui ressemble à un tombeau. Chefs débute quand le lieu se trouve sous la menace d’une fermeture ou d’un rachat, faute de résultats.
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Les créateurs de la série, Marion Festraëts et Arnaud Malherbe, sont eux-mêmes des “foodies” qui passent beaucoup de temps à réfléchir à ce qu’ils mangent. Perspicaces, ils ont fait appel au jeune et brillant chef David Toutain, tout juste étoilé Michelin, pour composer les assiettes légères et sophistiquées dont la série ne nous prive pas – la cuisine n’est pas qu’un décor, elle est aussi un enjeu du drame. Il s’agit de leur seule concession à la modernité dans ce domaine, Chefs faisant plutôt le portrait de l’ancienne garde culinaire, celle des maîtres d’hôtel classiques, des couverts en argent et de la hiérarchie militaire dans les brigades. Le seul vrai personnage repoussoir est un jeune chef branché à mèche, qui plus est étranger.
Cette perspective rend parfois la série plus ampoulée qu’elle ne devrait l’être. Mais réduire Chefs à un traité sur les guerres de clans dans la gastronomie d’aujourd’hui (Michelin contre Fooding ?) serait injuste. On y trouve surtout un récit filial assez prenant qui débute quand un ex-taulard débarque au restaurant, entamant une relation ambiguë avec le chef. L’univers clos joue son rôle d’accélérateur à émotions, et les autres personnages ne sont pas délaissés, façonnant une série plus collective qu’elle n’en a l’air. Sûre de son cap, Chefs impose finalement sa maîtrise et son amour du travail bien fait. A défaut de génie, ces qualités se révèlent très cohérentes avec l’univers de la cuisine. Et les réussites sont alors plus fréquentes que les ratés. L’épisode 4, notamment, parvient à mêler avec fluidité plusieurs tons et niveaux de lecture pour faire émerger des sentiments extrêmes.
Dans ces moments-là, Festraëts et Malherbe (également réalisateur) offrent une trajectoire affective très forte à des personnages qu’ils ont décidé d’aimer jusqu’au bout et auxquels, en scénaristes éclairés, ils ne passent rien. Cette absence de sentimentalité est un signe éminemment positif qui donne envie d’en goûter plus.
Olivier Joyard
Chefs, A partir du 11 février, 20 h 35, France 2
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