La légende de Jimmy. En deux rééditions, on célèbre la plume noire et élégante de Jimmy Webb, artisan des sixties scandaleusement oublié. 1968-1970 : entraînée dans la farandole chamarrée de “l’été de l’amour”, la communauté noire a ses oncles Tom comme ses Nat Turner. Si, sur les traces incendiaires de l’esclave révolté, Sly Stone passe […]
La légende de Jimmy. En deux rééditions, on célèbre la plume noire et élégante de Jimmy Webb, artisan des sixties scandaleusement oublié.
1968-1970 : entraînée dans la farandole chamarrée de « l’été de l’amour », la communauté noire a ses oncles Tom comme ses Nat Turner. Si, sur les traces incendiaires de l’esclave révolté, Sly Stone passe des hymnes hippies (I want to take you higher) au funk frondeur (There’s a riot going on), les 5th Dimension offrent l’image d’une intégration raciale idyllique. Cantonés à la buanderie de leurs maîtres, ils y amidonnent un impeccable linge aux motifs cachemire. Liquettes tropicales, pattes d’eph’ aussi évasées qu’un chapiteau de cirque et casques afro rigoureusement sphériques sont de sortie. A plumage bigarré, ramage altier. Marilyn McCoo donne la réplique à un patapouf jovial, Billy Davis Jr, ancien chanteur d’opéra et sosie de Demis Roussos, tandis que trois acolytes hilares exhibent des quenottes Email Diamant. Propulsés vers les cimes du Billboard (et, plus tard, sur la BO de Forrest Gump) par un hit planétaire (Aquarius/Let the sunshine in) tiré d’une célèbre comédie musicale attrape-couillons (Hair), bichonnés par un producteur voyant en eux des « Mamas & Papas noirs », les 5th Dimension embellissent alors de leurs voix voltigeuses le répertoire des plus éminents songwriters Burt Bacharach, Laura Nyro, Jimmy Webb surtout. Jeune fils prodige de l’Oklahoma, Webb est passé par Tamla Motown, avant d’échouer sur Sunset Boulevard. En 1968, ses orchestrations opulentes rivalisent avec celles de Brian Wilson ou George Martin, mais il a l’âme plombée par un amour qui se délite inexorablement.
Après un essor euphorique (Up-up and away, 1967), le deuxième album des 5th Dimension (The Magic garden), dont Webb signe les compositions et les arrangements, sera surnommé Susan’s album l’épouse de Webb se prénomme Susan. Chronique en dix chansons d’un divorce annoncé. Pour combattre l’affliction par la griserie, Webb fait tourbillonner des choeurs trapézistes, déchaîne des tempêtes de cordes, va recruter à Katmandou des sitars opiacés. En vain l’entraînant Carpet man dissimule des tourments masochistes à faire passer le Venus in furs du Velvet pour une bluette de Peter, Paul & Mary, Worst that could happen sonne le glas pour un couple qui ne vieillira pas ensemble. La même année, les chansons lustrées de Webb qui, sur l’Olympe pop sont à tu et à toi avec celles des Beatles laissent perler d’autres larmes pop. Toujours, les violons valseurs ont pour partenaires des hantises béantes : « J’ai besoin de toi plus que je ne te désire et je te désire pour l’éternité » (Wichita lineman, immortalisé par Glen Campbell, puis repris par à peu près tout le monde) ; « Le printemps n’a jamais été pour nous, il a toujours gardé une longueur d’avance » (monumental McArthur Parc, déclamé tout sternum dehors par l’acteur Richard Harris). Trente ans plus tard, amputées des fanfreluches pharaoniques inventées pour Harris et les 5th Dimension, les classiques de Jimmy Webb se contentent sur Ten easy pieces d’un piano solitaire, agrémenté parfois d’un soupçon de pedal-steel ou d’un violoncelle circonspect. Cette mise à nu reste le plus court chemin vers les nues, auxquelles on portera derechef ces standards stellaires.
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