Alors que les lois de « lutte contre le système prostitutionnel » seront votées en mars, DSK témoigne aujourd’hui dans le procès sur l’affaire du Carlton. Dans ces débats, il est souvent question de clients. Peu de clientes, ou de prostitués hommes. Rencontre avec Bug Powder, escort, et militant du Strass (Syndicat du Travail Sexuel)
Le 11 février, le président du Sénat et les présidents de groupe vont arrêter la liste des textes de la loi de « lutte contre le système prostitutionnel » qui seront examinés d’ici fin mars. Quatorze mois après le vote de celle-ci, par l’Assemblée nationale, le 4 décembre 2013.
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Lors des précédentes discussions au Sénat, la Commission spéciale chargée d’étudier le texte a supprimé l’article relatif à la pénalisation des clients, soulignant les »effets délétères » qu’une telle mesure pourrait engendrer. La veille de ce vote, aujourd’hui donc, Dominique Strauss-Kahn témoigne également dans l’affaire du Carlton. Il est question, donc de clients. Peu de clientes, ou de prostitués hommes. Rencontre avec Bug Powder, escort, et militant du Strass (Syndicat du Travail Sexuel)
Débuts dans le téléphone rose
Dans un café parisien, Bug Powder nous attend, souriant, assis à une table, avec sa veste en cuir, et une bière à la main. Il a 29 ans mais en fait 25. « J’ai commencé il y a onze ans, avec le téléphone rose« , commence-t-il à nous raconter. On fait le calcul. En 2004, le téléphone rose, ça existait encore ? « Oui », répond-il en souriant, « et je continue à le faire, ça fait partie de mes activités, avec l’escorting et le porno« .
« Nous avons tous nos trucs, pour le bruitage«
Il y a onze ans donc, il vit chez sa mère, et n’a pas le permis. « Je faisais du stop pour aller à Pôle emploi, c’était galère, j’ai donc répondu à une petite annonce et ça a marché. » Il parle depuis, au téléphone, à des hommes et à des femmes, ça dure de 3 minutes à deux heures, il parle principalement de sexe mais aussi d’autres choses, à des gens qui ont « juste besoin de parler » . Est-ce qu’il fait comme dans une scène du film Short Cuts, de Robert Atlman, dans laquelle une mère de famille change son bébé tout en disant des mots salaces, pour le téléphone rose ? « Je n’ai pas d’enfant, répond Bug, sérieusement, mais il m’arrive de chercher des bruits« . Un jour, pour un homme adepte du « crushing » (le fantasme d’être un mollusque, ou quelque chose de mou, que l’on écrase – NDLR), il a trouvé une vieille éponge dans sa cuisine, pour mimer le bruit. « Nous avons tous nos trucs, pour le bruitage« , lance Bug Powder.
Le « nous » revient beaucoup dans son discours. C’est d’ailleurs pour un « nous » qu’il s’est lancé dans l’escorting.
« Lorsque je travaillais dans un sex-shop, je suis devenu très ami avec une prostituée. Une des amies les plus proches que j’ai pu avoir dans ma vie. Elle me racontait tous les rouages de son métier, dans les bars à champagne où elle exerçait. Quand elle est décédée, il n’y avait pas d’argent pour ses funérailles. Pour les payer, mais aussi pour lui rendre hommage, j’ai fait quatre passes. Ça a payé son enterrement. Puis j’ai continué ».
Sept mois plus tard, il devient adhérent au Strass (syndicat du travail sexuel).
« J’ai toujours été féministe. J’ai été bénévole, à un moment donné, pour un centre d’accueil de femmes battues. Mais avant le Strass je n’avais pas trouvé mon combat politique. Je me suis rapproché de militants communistes et anarchistes, mais beaucoup ont intégré dans leur discours interne des clichés sexistes, contres lesquels je me bats ».
Pendant plusieurs années, Bug Powder partage son temps entre militantisme et escorting. De ses clientes, il parle peu. « Elles n’aimeraient pas que je parle d’elles, c’est intime« , dit-il. On saura qu’elles ont entre 20 et 50 ans, et ne sont pas forcément fortunées. Quand, dans certaines soirées, il dit le métier qu’il fait, et qu’on lui pose mille questions sur « ce qui plaît aux femmes« , ça l’agace. « Ils n’ont qu’à leur demander à elles, non ? Et puis certains mecs me demandent quelle taille de bite il faut avoir pour faire mon métier, comme si c’était ça la question !« .
Six types de clientes
Il a pourtant repéré certains types de clientes. Six, plus exactement. Celles qui n’ont pas l’envie ou le temps d’avoir une vie intime ou amoureuse, qui « veulent juste tirer un coup, pendant une heure, et c’est tout« . Celles qui ont vécu un viol ou une agression sexuelle, et qui veulent être « sécurisées« : « je ne suis pas un anonyme qu’elles rencontrent dans un bar« , précise-t-il. Celles qui ont des fantasmes spéciaux, dont elles ont honte et dont elles n’osent pas forcément faire part à qui que ce soit. Un exemple ? « Certaines utilisent le BDSM pour inverser les rapports de domination qu’elles subissent au quotidien avec les mecs, leur patron, leur conjoint, etc., comme dérivatif ou catharsis« . Il y aussi les femmes qui sont « dans une relation avec un gars pas doué, ou égoïste et qui donc sont insatisfaites« .
Cinquième catégorie : celles qui ont un handicap. Et enfin, beaucoup plus rarement, des jeunes femmes qui sont vierges, et qui ne veulent pas que l’homme se vante auprès de tout le monde de cet acte sexuel, et que « ça se passe bien, sans brutalités« .
L’escorting est le seul job où il ne se sent pas exploité
Bug Powder a travaillé chez Mac Do, et dans des centres d’appels, mais l’escorting est le seul job où il ne se sent pas exploité. Est-il un privilégié ?
« Dans la société, oui. Je suis un homme, hétéro, blanc, cisgenre. Mais le fait d’être pute, ça vous fait descendre, dans la pyramide sociale, non ? Et dans le travail sexuel, c’est nuancé. Certes je choisis mes clientes, et je ne subis aucune violence. Mais mes clientes sont des femmes, donc je gagne peu d’argent, il y a moins de clientes que de clients hétéros ou gays ».
Il a remarqué que celles-ci se raréfiaient avec la proposition de loi de pénalisation des clients. « Les hommes vont voir des prostituées depuis des siècles. Pour les femmes, c’est quelque chose de nouveau, et donc elles culpabilisent plus. Avec les débats sur cette loi, elles se sont senties mal. J’ai dû les rassurer, leur dire que c’était pour moi un travail, que je ne me faisais pas de mal« . Son avenir dépend en grande partie de la future législation. « Les mesures qui tendent à l’abolitionnisme visent particulièrement mes collègues de la rue, mais l’escorting via internet sera aussi visé. A terme, il y a des sites qui vont forcément fermer« .
Les bordels, la « porte ouverte à l’exploitation »
Si c’est le cas, il s’imagine quitter la France, mais il ne sait pas encore où. Pas en Allemagne, ni en Suisse, où la politique régulationniste crée, selon lui, des « bordels dans lesquels on parque les putes« . C’est, dit-il, « la porte ouverte à l’exploitation« . Un exemple: il y a des happy hours de services sexuels, dans certains de ces bordels. « Les filles ne choisissent pas leurs tarifs« . Le Strass milite pour l’accès au droit commun, qui permettrait entre autres l’autogestion. Et qui concernerait également les prostitués(ées) migrants(es). « Pute, c’est quand même le seul métier où tu payes tes impôts, mais n’as accès à aucun droit, même pas la retraite« , rappelle-t-il.
« Des associations féministes dirigées par des bourgeoises blanches »
Il a quitté le conseil d’administration du Strass, mais continue à être un de ses porte-paroles. Un peu las, parfois de contrecarrer les arguments de ceux qu’il appelle les « abolos« , les abolitionnistes. « Ces associations féministes sont dirigées par des bourgeoises, blanches, qui sont, parfois même sans le savoir, dans un discours de classe. L’ironie, dans tout ça, c’est qu’elles disent que nous, le Strass, sommes des privilégiés. Mais qui est une association reconnue d’utilité publique, avec des financements publics ? Pas le Strass. Qui a les moyens d’imprimer des prospectus sur papier glacé, pour les envoyer aux élus ? ». Pas le Strass, mais « tu vois de qui je parle ». Il parle entre autre d’Osez le féminisme, et du Nid, association de terrain, luttant « contre les causes et les conséquences de la prostitution« , d’inspiration catholique.
« Aujourd’hui les putes parlent à la première personne »
On reprend une bière, et l’on parle de la récente création des Roses d’Acier, association créée par des prostituées chinoises, avec le soutien du Strass mais aussi et surtout de Médecins du Monde. « Oui, heureusement aujourd’hui les putes parlent à la première personne. Ça change des « putologues », sur les plateaux télé et dans les ministères !« .
L’heure tourne, Bug Powder doit prendre le métro, pour rejoindre une cliente parisienne. On ne saura pas qui est cette cliente. Simplement qu’elle ne fait partie d’aucune des six catégories qu’il a mentionnées , quelques heures plus tôt.
Le blog de Bug Powder: http://nikoblik-smalltalk.blogspot.fr/
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