Un roundouillard rose et nerveux, déjà rongé par la calvitie. Derrière lui, une étudiante négligée, un eurasien timoré et un grand duduche sec au visage musclé. Les Pixies étaient mal partis. Visuellement aussi excitants que des Cocteau Twins en T-shirt et bermuda sur un campus de Boston. Jusqu’à maintenant, à quelques exceptions près, les groupes […]
Un roundouillard rose et nerveux, déjà rongé par la calvitie. Derrière lui, une étudiante négligée, un eurasien timoré et un grand duduche sec au visage musclé. Les Pixies étaient mal partis. Visuellement aussi excitants que des Cocteau Twins en T-shirt et bermuda sur un campus de Boston. Jusqu’à maintenant, à quelques exceptions près, les groupes impressionnants l’étaient aussi physiquement, par la dégaine ou par le charisme, ils s’écoutaient et se regardaient à la fois. Eux non. Difficile mais il faudra s’y faire, ils sont là pour longtemps et pour très fort. Les Pixies, seul avenir du rock américain. Dans la catégorie renouvellement, on avait presque fait un trait sur lui, incapable qu’il est de s’extirper de sa gadoue intégriste, où son plaisir se contente le plus souvent de ruminer des racines devenus poncifs. Seules des individualités telles les Talking Heads, REM ou les Feelies ont su découvrir de nouveaux horizons, mais sans pour autant réécrire de nouvelles règles.
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Les Pixies, eux, ont les leurs. Celles qu’on avait cru deviner sur leurs deux premières gueulantes, Come on pilgrim et Surfer rosa, où se dessinait timidement une volonté d’indépendance qui ne demandait qu’à devenir un goût dévorant pour la rébellion irrévérencieuse. Ceux qu’on avait pris pour de simples benjamins latinos du Gun Club jouent en fait plusieurs divisions au dessus, réinventent la grammaire et la syntaxe sans même s’en rendre compte. En toute innocence, ils bousculent les convenances et les valeurs établies du rock yankee, piétinant tous les étalons du son dans l’euphorie de leur insouciance. Car ces surdoués jouissent tête baissée, ou tête renversée, d’un présent paradisiaque qu’ils brûlent sans penser au lendemain, à la limite du chaos.
On n’imaginait pas que les cavalcades de folies décamisolées puissent encore provoquer de tels émerveillements et de tels plaisirs inédits. L’art de donner aux chansons de l’espace et la manière de jouer avec les accalmies et les tempêtes, sans entracte. Les rythmes des autres sont lourds et convenus, les leurs crânent de souplesse et de vélocité, agiles comme des singes qui virevoltent au-dessus des têtes de patapoufs. Les sources mélodiques des autres sont à sec, à leur portail se bouscule l’imagination harmonique de tous les coins, qui gave des chansons désarticulées d’une multitude de pépites. Les chants des autres rivalisent d’orthodoxie, le leur n’en est pas un, préférant les silences, les cris et les soupirs mélopés. Les constructions des autres sont plates et sans relief, leurs échafaudages sobres et baroques sont l’œuvre des architectes, les plus magnifiquement timbrés. Là où tous peinent, les Pixies sont les seuls à s’envoler, surclassant tout en inventant le rock milky way, pierre au dehors, mousse en dedans.
Archives du mensuel n°16, avril-mai 1989
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