Schizophrénie, mythomanie, animalité morbide… Comment les pathologies mentales alimentent deux bons thrillers de la rentrée.
En mars 2013, Walter Kirn assiste au procès de Christian Karl Gerhartsreiter : un psychopathe accusé de meurtre et d’avoir kidnappé sa fille. Sur lui pèse un autre soupçon : il aurait menti sur son identité pendant de longues années, utilisant divers noms d’emprunt. Cet immigré allemand installé aux Etats-Unis aura été baronnet anglais, crème de l’aristocratie britannique, avant de se faire passer pour un banquier d’affaires au glorieux patronyme, dupant ainsi tout son entourage – y compris l’écrivain. Son roman relate leur amitié, entrecoupée de descriptions du procès quinze ans plus tard. Une relation née sous les auspices d’une improbable transaction quand, à la fin des années 90, l’auteur, installé dans le Montana, doit convoyer un setter Gordon invalide vers son nouveau maître, rejeton new-yorkais de l’illustre famille Rockefeller qui semble particulièrement priser cette race de chien. S’ensuit la fascination croissante de l’auteur pour cette personnalité hors norme fan de Rothko, de casquettes roses et de menus canins.
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Le roman de Walter Kirn possède tous les ingrédients d’une intrigue à la Patricia Highsmith. Il s’inscrit plus globalement dans la lignée des grands héros usurpateurs, mythomanes et filous polymorphes qui ont inspiré les écrivains, de Fitzgerald (Gatsby) à Carrère fasciné par l’affaire Jean-Claude Romand. Plus rares sont ceux ayant eu à commercer en direct avec leur créature. C’est tout l’enjeu trouble de ce récit, alternance de notes glaçantes et d’authentique cocasserie, déconstruction patiente d’un cerveau, à travers les témoins qui l’ont côtoyé, sans voiler sa réflexion de fond : les motivations impures de l’artiste et la notion de prise de risque inhérente à toute production littéraire.
Démesure morbide
Situées aussi dans les quartiers chic de Manhattan, les infortunes du couple de Conception, premier roman de Chase Novak, grimpent d’un cran dans l’horreur. Suite à d’infructueuses tentatives pour tomber enceinte, une éditrice de livres pour enfants et son mari, un riche avocat, sollicitent un médecin slovène qui leur inocule des cellules animales. Un an plus tard naissent deux adorables bambins mais le couple est soumis à plusieurs bouleversements physiologiques et comportementaux : pilosité extravagante, changements d’humeur, agressivité à l’égard de sa progéniture…
Flippante et caustique, leur descente aux enfers forme un parfait assemblage de Rosemary’s Baby, Stephen King et La Nuit du loup-garou : une farce horrifique qui rappelle ici la part de férocité animale tapie sous la sociabilité fleurie et civilisée de l’Upper East Side. C’est d’ailleurs à une sorte de dérèglement et de démesure morbides que chacun des livres renvoie, nouant respectivement leurs intrigues à la fin des nineties – et revêtant par là-même un caractère prophétique : “C’était l’été de 1998 et il y avait quelque chose d’irréel dans l’air : un marché boursier porté par une exubérance irrationnelle, un président en péril pour avoir menti à propos d’une histoire de fellation, une grisante profusion de nouvelles technologies capables de reconfigurer le temps et l’espace.” Et si c’était ça, le vrai thriller ?
Mauvais sang ne saurait mentir de Walter Kirn (Christian Bourgois), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Eric Chédaille, 270 pages, 21 € Conception de Chase Novak (Préludes), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Vincent Guilluy, 480 pages, 14,90 €
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