Ce Texas n’empeste jamais le folklore : c’est le Nebraska de Springsteen qui s’évade du cafard et montre ses crocs. Plat pays, vies aplaties. Les tumbleweeds, grosses boules feuillues roulant sur elles-mêmes, sont les seuls objets en mouvement lorsque le vent du Nord mugit, balayant les mornes étendues du Texas et flanquant le bourdon à […]
Ce Texas n’empeste jamais le folklore : c’est le Nebraska de Springsteen qui s’évade du cafard et montre ses crocs.
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Plat pays, vies aplaties. Les tumbleweeds, grosses boules feuillues roulant sur elles-mêmes, sont les seuls objets en mouvement lorsque le vent du Nord mugit, balayant les mornes étendues du Texas et flanquant le bourdon à une population calfeutrée. Ici, l’espace est oppressant, on y mène des existences de naufragé, en rêvant de trains, en contemplant vainement le sillage des avions (Levelland). C’est le père de James McMurtry, Larry, qui a écrit le plus beau roman que ces terres de désolation aient inspiré. Après The Last picture show, terrifiante chronique d’une adolescence asphyxiée par trop de grand air, l’inspiration de Larry s’est teintée de rose et lui a rapporté des piles de beaux billets verts. Son fils, James, reste intraitable. Depuis trois albums il en découd avec cette contrée désolée (Too long in the wasteland, 1989), vouée aux promesses illusoires (Candyland, 1992) et désespérément rase (l’implacable chant de haine qu’est Levelland, sur son nouveau disque). Claustration par le vide, avec pour tout horizon les débauches de Matamoros, méchante bourgade frontalière vivant de piteux lupanars. Where’d you hide the body, c’est le Nebraska de Springsteen qui sort de sa catatonie, s’ébroue et montre ses crocs, venimeux. Voix tendue comme une corde de violon, asticotée de picotements nerveux : le chant âpre de McMurtry tient la bride serrée à des guitares impatientes, à une wah-wah qui ronge son frein. Sous les cendres de l’ennui, la violence, trop longtemps contenue : celle de couples grillés par les flammes de leur enfer à deux (Where’d you hide the body), celle aussi de l’autodestruction par la boisson (Rachel’s song) ou du glissement dans les bras accueillants de la paranoïa (Right here now). McMurtry a le regard féroce d’un Thomas Bernhard égaré dans les plaines du Far-West, la rigueur binaire d’un John Fogerty revanchard. Spleen sec, émotion épineuse : pas le genre peintre paysagiste, tentant de rendre les couchers de soleil à grand renfort de mandoline larmoyante ou de pedal-steel bouffie de nostalgie. Ce Texas est fâché avec le folklore, on y vit au milieu de meubles enveloppés de plastique (Iolanthe), on y perd tôt l’esprit (Levelland). Bel exemple d’art hargneux au pays des tracteurs, un sacré tempérament d’imprécateur.
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