Esther Benbassa présentait hier la première proposition de loi visant à légaliser et contrôler sa consommation. Un combat qui semble perdu d’avance.
« Si nous faisions passer ce texte, nous aurons peut-être l’occasion, si nous sommes encore vivants d’ici là, de regretter d’avoir accepté votre proposition aujourd’hui. C’est pourquoi nous voterons contre« , a déclaré hier Alain Milon, 67 ans, sénateur depuis 11 ans et président de la commission des Affaires sociales. Une voix s’élève pour lui répondre : « Moi je ne fume pas, alors je serai encore là pour voir ça. » Rumeur d’assentiment de l’assemblée et sourires goguenards.
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Ils étaient une quarantaine présents hier pour débattre du projet présenté par Europe Écologie Les Verts. « C’est plus que ce à quoi je m’attendais », confie Esther Benbassa. À l’écoute des discours, pourtant, rien de très novateur. Malgré l’effort de la sénatrice pour anticiper les attaques et contrecarrer les raisonnements tels que la « théorie de l’escalade » (si le cannabis est autorisé, les gens se tourneront vers des drogues plus dures, ndlr), les arguments des opposants à la proposition se sont suivis et se sont ressemblés.
La France, le pays qui consomme le plus de canabis en Europe
Tout le monde s’accorde pourtant sur le constat livré aussi bien par Daniel Vaillant en 2011, que par le think thank Terra Nova en décembre dernier : le système actuel français ne fonctionne pas. Les 568 millions dépensés chaque année pour la répression, la plus sévère d’Europe, n’empêchent pas l’Hexagone d’avoir plus de fumeurs qu’aux Pays Bas (17,5 % chez les 15-34 ans ici face à 13,7 là-bas). Ce qui fait de la France le plus gros consommateur du Vieux continent.
L’exemple de l’Uruguay
Terra Nova révélait également dans son étude les trois scénarios possibles comme alternative à la prohibition actuelle : la dépénalisation de l’usage, la légalisation de la production, de la vente et de l’usage dans le cadre d’un monopole public, et la légalisation dans le cadre concurrentiel. Le deuxième scénario, mis en œuvre en Uruguay depuis un an, leur apparaissait après analyse comme le plus pertinent. S’inspirant de l’alcool pour le contrôle de la production, et sur le tabac pour celui de la vente, il permettrait selon eux de stabiliser le niveau de consommation en fixant les prix, de lutter contre le trafic, de diminuer de 92 % les dépenses publiques de justice et de police et de récolter, via la taxation, 1,6 milliards d’euros.
C’est bien ce que propose le projet de loi présenté hier. Cette « initiative […] n’est pas sortie de la tête embrumée – ou enfumée – d’une écologiste présumée amatrice de joints, comme le voudraient certains clichés », ironisait Esther Benbassa au micro. Certains États des Amériques ont lancé un mouvement qu’elle qualifie d’inéluctable.
Un gouvernement désintéressé par la question de la dépénalisation
Face à la sénatrice, Pascale Boistard, la secrétaire d’État au droit des femmes, avait été envoyée en lieu et place de Marisol Touraine. Un message clair de la part du ministère qu’elle n’a pas ignoré : « Chère Pascale Boistard, nous nous connaissons de longue date, et nous nous estimons, je crois, mutuellement. Mais quel rapport le cannabis a-t-il donc avec les droits des femmes, qui, soit dit en passant, sont moins consommatrices que les hommes ? » Sa question restera sans réponse. Si le gouvernement affiche clairement son désintérêt pour l’idée de la dépénalisation, celle-ci fait pourtant son chemin auprès de l’opinion publique. De 31 % en 2008, la part des Français favorables à l’autorisation du cannabis sous certaines conditions est passée à 60 % en 2014.
Reste que le projet d’Europe Écologie les Verts demeure « difficilement acceptable pour un sujet aussi sensible », d’après le sénateur Gilbert Barbier, qui préférerait moduler l’échelle des peines. Pascale Boistard a qualifié la proposition de « contre-productive […] inopportune et dangereuse ». Le gouvernement estime que les exemples internationaux cités sont trop récents pour être pris en compte, et préfère renforcer la prévention via les partenariats sociaux et poursuivre la lutte contre les réseaux criminels.
« Les cocaïnomanes ont toujours commencé par le cannabis »
David Rachline, 26 ans, un des premiers sénateurs du Front national à être arrivé au Sénat après les élections de 2014, a quant à lui tout bonnement affirmé que « les cocaïnomanes ont toujours commencé par le cannabis » et a accusé les écologistes de « sombrer une fois encore dans la démagogie » en « proposant aux jeunes du cannabis sur un plateau d’argent ». Sans toutefois proposer de réelle alternative.
À 18 h 30, heure de clôture de la session, les débats ne sont pas terminés. Le vote attendra le 2 avril. Mais Esther Benbassa n’est pas découragée :
« On a sensibilisé les gens. Je reçois beaucoup de tweets de citoyens qui se sentent concernés. Ils me disent qu’ils n’ont pas attendu le gouvernement pour évoluer. Les politiciens semblent ressentir le besoin de cristalliser les choses, par peur du laxisme. Aux USA, les gens sont aussi conservateurs. Pourtant, plusieurs états ont déjà compris que la prohibition à la mode de celle appliquée sur l’alcool dans les années 20 n’est pas la solution. »
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