La féministe américaine Lindy West a toujours ignoré les (trop) nombreux trolls lui collant aux basques sur les réseaux sociaux. Jusqu’à ce que l’un d’eux emprunte l’identité de son père défunt.
En tant qu’écrivaine et chroniqueuse (pour GQ et The Guardian notamment) féministe, Lindy West est l’une des cibles préférées des trolls, qui prennent un plaisir pervers à lui envoyer des messages de haine sur les réseaux sociaux depuis des années. Mais, en bonne connaisseuse de l’Internet, Lindy West a toujours gardé à l’esprit le fameux diction « Don’t feed the troll », soit « ne pas nourrir le troll », qui préconise de ne jamais répondre à un troll sous peine d’enclencher une spirale infernale de harcèlement. L’Américaine s’est donc toujours bien gardée de s’emporter contre un troll, les laissant déverser leur haine comme bon leur semble sans leur prêter plus d’attention.
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Un troll vole l’identité de son père défunt
Jusqu’au jour où l’un d’entre eux a volé l’identité de son père défunt pour se créer un compte Twitter. Lindy West raconte sur le site du Guardian:
« Le nom du compte était « PawWestDonezo » car mon père s’appelait Paul West et qu’il s’était battu contre un cancer de la prostate qui avait eu raison de lui 18 mois plus tôt [le troll a utilisé le terme argotique « donezo » qui signifie être fini, terminé, ndlr]. La bio Twitter disait « père embarrassé. Mes deux autres enfants vont bien malgré tout ».
Lindy West questionne alors le principe du « Don’t feed the troll »: « Est-ce vrai qu’ignorer les trolls va réellement les arrêter? Quelqu’un peut-il me montrer des chiffres? J’ai ignoré bien plus de trolls que je n’en ai nourri et ma boite de réception n’a jamais été en paix. » Elle décide de raconter son expérience et, plus largement, de dénoncer le trolling dans un long billet publié sur le site américain féministe Jezebel. « [Le trolling] empoisonne les conversations saines. Et, plus précisément, pousse les femmes hors de l’Internet et hors des conversations, dans des « espaces sécurisés »- et c’est exactement ce que veulent les trolls. Ils veulent qu’on se la ferme. Ils veulent qu’on dégage de leur territoire » explique-t-elle, « Mais les trolls attendent justement qu’on leur réponde. Ils se repaissent d’attention. C’est le casse-tête: dès qu’on leur prête attention, ils gagent. Mais si on ne leur prête jamais d’attention, ils gagnent aussi, et les échanges s’amenuisent et on devient tous plus stupides. » Après avoir tergiversé, Lindy West a, elle, décidé de répondre aux trolls: « Je sais ce que JE vais faire. J’en ai marre de m’entendre dire que je gère mal ces abus. Je ne suis le jouet à mâcher de personne- vous pouvez vous faire les dents sur moi, mais je suis remplie de poison.«
Le troll lui écrit un mail d’excuses
Le lendemain de la mise en ligne de son article, Lindy West découvre dans sa boîte de réception un email d’excuses envoyé par le fameux troll. « Hey Lindy, je ne sais pas pourquoi ni quand j’ai commencé à te troller. Ce n’était pas à cause de tes déclarations sur les blagues sur le viol |Lindy West a écrit un article sur les blagues sexistes, ndlr]. Je ne les trouve pas non plus drôles » commence-t-il, avant de lâcher:
« Je crois que ma colère envers toi a été déclenchée par le fait que tu sembles heureuse avec toi-même. ça m’a offensé car ça m’a rappelé que j’étais malheureux avec moi-même ».
Et de conclure, repentant: « Je ne serai plus un troll. Je m’excuse une nouvelle fois. J’ai fait une donation en mémoire de votre père. Je vous souhaite le meilleur. » Touchée, Lindy West lui envoie un mail de remerciements et tourne la page.
« Il m’a raconté qu’à l’époque il se sentait gros, mal aimé, sans passion, et sans but »
Mais, à l’été 2013, elle demande à l’émission de radio américaine This American Life de l’aider à retrouver le mystérieux troll, dont elle a conservé l’adresse mail. Le troll accepte de lui parler au téléphone dans le studio de la radio:
« Nous avons parlé durant deux heures et demi. Il avait incroyablement conscience de ce qu’il était. Il m’a dit qu’il ne me détestait pas à cause de mon truc sur les blagues sur le viol – la temporalité était juste une coïncidence- mais à cause du fait que je ne me détestais pas moi-même. L’entendre expliquer ses choix avec ses propres mots, avec sa propre voix était déchirant et fascinant. Il m’a raconté qu’à l’époque il se sentait gros, mal aimé, sans passion, et sans but. Pour une raison que j’ignore, il avait trouvé « facile » de reporter ça sur les femmes en ligne ».
Lindy West essaye de comprendre pourquoi sa haine s’est automatiquement reportée, comme pour beaucoup de trolls, sur les femmes. En vain. Elle parvient malgré tout à lui pardonner. « Cette histoire n’est pas normative, tient-elle à préciser, cela ne veut pas dire que tout le monde doit pardonner à ceux qui les maltraite ou que je prévois d’être cordiale et compatissante envers tous les ados mecs qui me diront que je suis trop grosse pour être violée (désolée d’avance les garçons: je mords toujours). (…) Continuez de crier les trolls, je vous vois ».
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