Dans son numéro du 2 janvier, l’hebdomadaire d’extrême-droite « Minute » consacre un dossier au « lobby gay » du Front National et assure que de plus en plus d’homosexuels rallient le FN. Décryptage d’un phénomène avec Nicolas Lebourg, spécialiste des droites extrêmes.
« Question taboue : existe-t-il un lobby gay au FN ? » s’imprime en blanc et rouge sur fond noir sur la une du dernier numéro de Minute daté du 2 janvier. L’hebdomadaire d’extrême-droite y mène une enquête aux relents homophobes sur la question des relations que le Front National entretient avec l’homosexualité. Pour eux, la prise de pouvoir de Marine Le Pen en 2011 coïncide avec l’arrivée de membres homosexuels dans le parti. Un phénomène qui avait déjà été rapporté par Didier Lestrade, fondateur d’Act Up, dans un chapitre de son livre Pourquoi les gays sont passés à droite publié sur Slate.fr. Explications avec Nicolas Lebourg, spécialiste des droites extrêmes et co-auteur du livre Dans l’ombre des Le Pen. Une histoire des numéros 2 du FN (avec Joseph Beauregard, Nouveau Monde Éditions, novembre 2012), dans lequel il aborde la question du FN et de l’homosexualité.
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Qu’est-ce qui a poussé Minute à dénoncer le « lobby gay » du FN alors que l’hebdomadaire et le parti sont du même bord politique ?
Minute a pris une ligne plus critique ces dernières années, ils ont pris partie pour Bruno Gollnish et ont été proches du Bloc Identitaire. Pour eux, il est évident qu’il faut parler de cette question actuellement. Ils mettent pour la première fois sur la place publique quelque chose qui agite le parti depuis l’arrivée de Marine Le Pen au pouvoir. Et puis ils se font plaisir : ils disent qu’ils n’outent personne mais ils balancent !
Pourquoi Minute parle-t-il de « lobby gay » ?
Au sein du FN, des cadres accusent effectivement les gays de constituer un lobby, une hiérarchie parallèle. C’est ce que j’entends sur le terrain depuis plus d’un an. La mue néo-populiste du FN met au cœur du discours la défense de la République, de la Nation contre les communautés et là les cadres se retrouvent avec le communautarisme qu’ils dénoncent. ça pose un problème de management du parti et un problème politique.
Qu’est-ce qui a changé depuis que Marine Le Pen a pris les commandes du parti en 2011 ?
Marine Le Pen c’est le phénomène Dalida, elle est adulée par un encadrement gay, elle a toujours fréquenté la nuit gay, de même que son père a toujours eu des personnes homosexuelles parmi ses amis. Le Pen n’aime pas les folles, ni la revendication communautaire. Si un mec correspond à son idée de la virilité mais est gay, il s’en fout. Ce sont des gens très bohèmes.
Pour quelles raisons Marine Le Pen a-t-elle décidé de s’entourer de personnes homosexuelles ?
C’est une grande question qui a trait à sa psychologie. Marine Le Pen a à l’évidence un complexe d’infériorité et ce groupe la rassure, flatte son égo. Ils sont capables de travailler de manière inconditionnelle pour elle. Elle est très valorisée par cette petite troupe. Apparemment il y a une lutte affective pour elle, son groupe essaye de la monopoliser affectivement, de la séparer de son père et de Louis Alliot [son compagnon et numéro 2 du parti, ndlr]. Mais la question qui se pose c’est combien de temps le FN peut-il tenir sur le fait que ses cadres ne font pas de coming out, sachant qu’ils sont sous la menace permanente d’être outés par Act Up ?
Pourquoi des personnes homosexuelles rejoindraient-elles le FN ?
Il y a une droitisation de l’imaginaire gay depuis 2001 avec l’idée que l’islam et les jeunes d’origine arabo-musulmane seraient la force homophobe. On retrouve ça dans la droitisation de la communauté juive avec l’idée que ce sont ces jeunes arabo-musulmans qui portent l’antisémitisme. Des gens rejoignent l’extrême droite en disant qu’ils sont juifs ou franc-maçon ou gays. Il y a 20 ans ce n’était pas exactement pareil ! A ce propos, Gaël Brustier [docteur en sciences politiques, ndlr] parle « d’hédonisme sécuritaire ». Je trouve que c’est une formule intelligente. Les gens veulent jouir dans la sécurité, ils vont donc voter Marine tout en étant gay.
Pourrait-il y avoir une scission du parti en cas de coming out ou de trop grande ouverture ?
Les personnes sont déjà parties. Quand Marine Le Pen a pris le pouvoir, toute la vague de nationaux-catholiques qui sont partis le faisaient aussi parce qu’il ne voulait pas être dirigés par des personnes homosexuelles. Déjà, ils ne prenaient pas trop bien le côté monarchique du parti, le fait d’être dirigés par la fille du chef… Le FN a un problème politique, la campagne présidentielle a suivi une ligne fluctuante, ce n’était pas très clair… cette absence de ligne politique et la question homosexuelle sont intimement liées.
Dans la mesure où Marine Le Pen s’est prononcée contre le projet de loi sur le mariage pour tous, pourquoi le FN n’a-t-il pas officiellement appeler à manifester le 13 janvier ?
Marine Le Pen s’est positionnée contre car Jean-François Copé a pris les devants ! Il y a quelques mois elle bottait en touche, elle n’était pas vraiment contre le projet de loi, elle parlait surtout d’organiser un référendum. Le FN ne va pas marquer des points sur l’homophobie, sa martingale c’est l’anti-immigration. Ils ne vont pas faire de la politique sur une demande sociale homophobe car il n’y a pas la clientèle politique pour ça. Il n’y a que des coups à prendre pour le FN en se lançant dans ce débat.
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