Bientôt majeure mais toujours pas vaccinée contre les flops, la jeune station créée en 1997 fait peau neuve. Ce lundi 2 février, le Mouv’ nouvelle formule entend mettre fin à la crise d’identité que traverse la chaîne de façon chronique. Un projet radical qui est loin de faire l’unanimité…
Il est huit heures, et, quelque part au troisième étage de la Maison de la radio dans le seizième, une petite bande de trentenaires a déjà investi l’imposant studio 134 où va intervenir quotidiennement la fine équipe de Mouv’. Pour eux, ce 2 février 2015 a des allures de grand jour : c’est aujourd’hui que le plan d’action flambant neuf, débattu pendant des semaines dans les médias, est présenté au grand public. C’est aussi l’heure du coup de jeune tant attendu. En déployant un budget de 6 millions d’euros et en consacrant 350 000 euros à une campagne de pub pilotée en interne, Mouv’ se donne les moyens de se relancer.
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Le changement, c’est maintenant
C’est dire qu’en quête d’un nouveau souffle, l’antenne « jeune » de Radio France a toujours peiné à trouver une assise solide dans le paysage radiophonique français. Avant, la station était prescriptrice dans un environnement acoustique pop-alternatif. Aujourd’hui, les playlists sont sous perfusion de tubes commerciaux comme ceux de Maître Gims ou de David Guetta. « Ils ont abandonné l’exigence de service public et l’identité de la radio. C’est comme s’ils avaient racheté Les Inrocks pour le transformer en OK! Podium« , regrette un ancien animateur.
Sur les réseaux sociaux, la nouvelle direction est accusée d’avoir déserté le champ des musiques émergentes pour flatter les oreilles du plus grand nombre. En octobre dernier, la réorientation de la ligne éditoriale avait d’ailleurs fait l’objet d’une tribune incendiaire d’une auditrice sur Rue89. On pouvait ainsi lire :
« Pourquoi ai-je l’impression d’écouter Virgin Radio ? Cette sensation d’écouter une radio commerciale me révulse. Monsieur Laforestrie, vous voulez visiblement concurrencer les autres radios jeunes ; n’oubliez pas que vous dirigez une radio publique. »
Indices Médiamétrie au ras du plancher, direction aussi transformiste qu’un gouvernement sous la IVe République, plans de relance désespérément infructueux : avec le couperet des 0,3 % d’audience sur l’ensemble de ses fréquences en 2013 s’est rapidement posée la nécessité d’un sérieux ravalement de façade.
Exit l’orange
Un constat : le noir et blanc leur va mieux que l’orange. Le nouveau logo, signé par le graphiste Tyrsa, symbolise à lui seul le volontarisme de cette nouvelle mouture, bien décidée à assumer son lifting jusqu’au bout. Une reconversion qui s’accompagne en passant d’un discret changement de nom (l’article est passé à l’as). Serge Schick, directeur délégué au marketing stratégique et au développement, n’hésite pas à en rire : « En interne, on a eu suffisamment d’imagination tous seuls pour envisager de supprimer l’article », sans avoir à recourir aux services d’une agence. Pour booster la courbe d’audience, qui flirte assidûment avec l’encéphalogramme plat, la Maison ronde a de la suite dans les idées, y a pas à dire.
Tandis que la première émission se poursuit, au rythme des jingles et des caprices du conducteur, l’atmosphère est curieusement feutrée. À neuf heures dix, le studio 134 se vide soudain et les journalistes s’acheminent vers la destination suivante, en vue d’une conférence de presse en comité réduit, légèrement informelle. En sortant, les attachés de presse distribuent des calepins et des pin’s labellisés Mouv’ pour s’attirer les bonnes grâces de leurs hôtes. L’opération de com, calibrée au millimètre, vante en long et en large la cure de jouvence que vient de s’offrir la station aux 200 000 auditeurs.
« Bruno Laforestrie ne ménage personne »
Ce changement de braquet, l’ancien patron de la radio Générations, Bruno Laforestrie, l’endosse dans les grandes largeurs. Attendu au tournant après des années de sorties de route et d’audiences au point mort, Laforestrie entend mener sa barque comme il l’entend. Au détour d’une présentation quasiment exhaustive de la nouvelle programmation, il déclare voir en ce virage « un signal fort donné au sein de la Maison de la radio, qui est également la maison de la musique et de toutes les musiques. » En quatre ans, il est le cinquième à prendre les rênes de Mouv’ dont il a la charge depuis mai 2014. Et il s’est rapidement débarrassé des émissions identitaires de la radio − celles de Jules-Édouard Moustic mais également « Point G comme Giulia”, “Popcorn”, “La Matinale”, “Le Mouv’stik” ou bien encore “Touche pas à mon poke”.
« Depuis son arrivée, il n’a ménagé personne, c’est certain, concède un ancien animateur. J’ai appris que mon émission sautait en l’espace de quelques minutes durant lesquelles il n’a pas cessé de regarder sa montre. Je me souviens qu’il me posait des questions l’air poli mais avant que je ne puisse formuler une réponse, il m’a lâché d’un ton condescendant : ‘Je dois vraiment y aller.’«
L’abandon du territoire pop-rock historique
Il faut dire que le successeur de Joël Ronez joue son va-tout sur un pari osé : pour lui, il s’agit de réduire l’écart incompressible entre les exigences d’une poignée d’esthètes iconoclastes, à la recherche de sons novateurs, et la volonté de séduire un plus large auditoire. Avec sa nouvelle grille, axée « cultures urbaines et périurbaines », Mouv’ veut ratisser plus large qu’à la grande époque des Cautionneurs ou de Laurent Garnier. Objectif : retaper la station convalescente en y inoculant la dose de swag nécessaire pour attirer le public cible − les jeunes de moins de trente ans.
« Son projet même est décrié en interne, explique un chroniqueur. L’idée de construire une radio locale où la banlieue parle à la banlieue parait vraiment datée et paternaliste. Les jeunes de banlieue ne s’abreuvent pas de Soprano et de Sexion d’Assaut comme il a l’air de le croire […] Surtout que sur le créneau hip-hop/rap que vise la nouvelle direction, il y a déjà beaucoup d’offres privées alors que la vocation du service public c’est normalement d’aller où les autres ne vont pas. Laforestrie a littéralement abandonné le territoire pop-rock historique du Mouv’… »
Aujourd’hui la nouvelle version de la station se veut une « radio hip-hop électro », qui mettra l’accent sur la musique aux trois quarts et la pédale douce sur l’information. Un alignement sur un créneau plus « fédérateur », à grand renfort de programmes délibérément « générationnels » et pêchus. Au risque d’empiéter sur les plates-bandes de chaînes comme Skyrock ou Générations ? Maigre lot de consolation : une nouvelle application pour smartphones est prévue pour le 16 février.
Un marketing soigné
Délaisser la fraîcheur pour le consensus, ce n’est pas une mince affaire. Et à ménager la chèvre et le chou, le Mouv’ (pardon : Mouv’) pourrait bien finir par s’aliéner ses auditeurs restants… Une objection notoirement partagée sur la Toile, que le directeur de la station pulvérise d’un revers de main : « Nous croyons au fait que les jeunes écoutent encore massivement la radio. Dans le dernier sondage au mois de décembre, on a vu que 82 % des 15-25 ans écoutent encore quotidiennement la radio. » À la faveur de cette opération séduction, ces 15-25 ans qui ont déserté les fréquences de Mouv pourraient bien resquatter la station, requinquée grâce à un « bpm plus accéléré ». Car désormais, n’en déplaise aux plus sourcilleux, il va falloir compter avec la musique commerciale. Le directeur de Radio France, Mathieu Gallet, se hasarde à ce sujet à des plaisanteries très lourdes de sens : « Ce matin, y avait du Rihanna [Don’t Stop the Music, ndlr], quand même ! »
Vers un modèle 100 % numérique ?
Mathieu Gallet veut que « les jeunes se retrouvent dans les valeurs du service public » là où Laforestrie dépeint ce Mouv’ réajusté comme « un point de rencontre » entre les courants mainstream et les « cultures minoritaires et underground« . Cela ne l’empêche pas de déplorer que « Radio France [soit] le seul service public qui n’a[it] aucune webradio en Europe. » C’est pourquoi, en cas d’échec, il l’assure : « Il faudra revoir notre présence en FM et envisager un modèle 100 % numérique. »
Avec la création du 20#20, un magazine original et « interactif » qui se projette en 2020, les têtes pensantes de Radio France tentent de montrer qu’elles ne délaissent pas l’info. Pourtant, la rédaction s’était démarquée en janvier dernier en ne couvrant pas les attentats de Charlie Hebdo. Un traitement de l’actualité qui avait suscité l’indignation du Syndicat national des journalistes (SNJ) :
« Lors des attentats de la semaine dernière, les auditeurs n’ont donc eu ni suivi, ni explications, ni mise en perspective de cette actualité qui va sans doute changer en profondeur la société française et qui concerne au premier chef la jeunesse de ce pays. […] D’où cette interrogation qui ne cesse de revenir : à quoi servent huit journalistes professionnels pour une antenne qui ne traite pas l’actualité, même lorsqu’elle est incontournable ? »
Sur les réseaux sociaux, les déclarations d’intention de la chaîne ont fait l’effet d’une douche froide :
Y’a pas à dire la fin de @lemouv, ça me fout un coup. Son éclectisme, son ton et surtout son esprit rock et indé manqueront un max #lemouv — Marine Bienvenot (@MarineBvnt) 1 Février 2015
Adios @lemouv pic.twitter.com/tJnklwgt6P — Emilie Mazoyer (@EmilieRadioFr) 1 Février 2015
Sans vouloir jouer les Cassandre, ce énième rafistolage du @mouv me semble aussi vain que les précédents. cc @radiofrance — Jérôme Godefroy (@jeromegodefroy) 2 Février 2015
Well done @mouv, continuez à enfermer les jeunes dans la rue, ça laissera la place aux « héritiers » dans les sphères de décision ;) — Felix M (@felthecat) 2 Février 2015
« Le niveau zéro de la radio »
Mais en matière de critique, certains ex-collaborateurs ne sont pas en reste. Selon un ancien animateur, ce « changement radical » est un « pari risqué », qui a toutes les chances de « mal passer ». Si le projet lui paraît « intéressant », il souffre selon lui d’une « vision de la rue un peu datée », où « l’institution parle à la jeunesse de banlieue » avec un rien de condescendance. À cela s’ajoute une « réflexion éditoriale plus pauvre », qui en privilégiant la « politique de la demande à une politique de l’offre », « sert une soupe musicale commerciale » aux auditeurs au détriment de la qualité. « Il faut s’entourer de gens de confiance », reconnaît-il en bon prince. Comme lui, un autre qui a choisi de partir de son propre chef se dit « sans amertume ni aigreur ». Mais les plus défaitistes ne s’embarrassent pas de ces précautions oratoires :
« La gestion est désastreuse. Les mecs ne savent pas où ils vont et les projets changent d’une heure à l’autre. Personne n’y croit en interne, les gens se marrent. Le lancement a été retardé car ils n’étaient pas prêts. Bref, on assiste à une immense vanne, chaque jour un peu moins drôle. »
Sans ambages, il conclut :
« J’ai écouté la matinale. J’étais atterré. La musique est atroce, mais elle l’est depuis des semaines. Surtout, c’est faussement cool, les vannes tombent à plat. C’est le niveau zéro de la radio. »
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