Vipère au Point. Délicieuse réédition d’un premier album où se mêlaient attentats à la pudeur poétiques et flagrants délits pervers. Surtout, ne pas se fier à la pochette : coiffure minivague estampillée eighties, cravate en laine à n’ud lâche, veston de garçonne sur l’épaule et profil Buzy malencontreusement figé dans nos pires cauchemars. En 83, […]
Vipère au Point. Délicieuse réédition d’un premier album où se mêlaient attentats à la pudeur poétiques et flagrants délits pervers.
Surtout, ne pas se fier à la pochette : coiffure minivague estampillée eighties, cravate en laine à n’ud lâche, veston de garçonne sur l’épaule et profil Buzy malencontreusement figé dans nos pires cauchemars. En 83, cette époque antédiluvienne où fut publié L’Assassine, sans doute aurions-nous soigneusement évité Elisa Point pour toutes ces (mauvaises) raisons. Sa réédition aujourd’hui, en écho au second album, L’Instant d’après, sorti seulement une décennie plus tard, figure au rang des rattrapages obligés. Dès Photo, premier polaroïd saisissant au vol toute la singularité d’Elisa d’innocents chants d’oiseaux et cette phrase, « Elle est tombée de la falaise », lâchée avec une fautive gourmandise , point de salut pour toutes les Mylène Farmer et autres provocatrices simplettes apparues depuis. Entre Gainsbourg et Miossec, personne comme Elisa Point n’aura violé avec autant de désinvolture quelques tabous bien retors, répertoriés ici d’une langue fourchue à faire rougir à retardement nos quotas de vaches laitières dont Ophélie W. est désormais l’impitoyable mamelle nourricière. Certains ont été promis au bûcher pour moins que ça et on comprend mieux pourquoi le filet acidulé d’Elisa n’a jamais frétillé sur nos ondes. Des détails ? On y entend ici des choses du genre « Je dors souvent dans des messieurs que mon père connaît mieux » (Taxi) ou bien « Reboutonnez votre braguette, rentrons en douce par le bois des pins » (Bonjour ivresse), jusqu’au paroxystique « J’appuie sur la musique, je fais pipi sur votre joue » (Beau vieillard) : inventaire scabreux ou polissonneries ordinaires, toujours est-il qu’Elisa gratte des plaies que l’on croyait réservées à des ongles plus robustes, des griffes plus solidement vernies. Gainsbourg lui-même en fut paraît-il tout retourné, ce qui n’est pas un mince exploit. Musicalement, hormis la patine de rigueur que le temps n’a pas manqué d’y déposer, L’Assassine conserve des éclats d’une rare précision : figures de synthés imposées par l’époque et miraculeusement au goût du jour Dominique A ou petits canevas de cordes préservés des corrosions mais en tout cas rien qui ne prétend surenchérir avec la brutalité des mots. Petite voleuse et grande volage, libertine et libertaire, Elisa Point est une vapeur âcre parmi les courants d’air tiède de la chanson française ; L’Assassine, un couac unique dans cette noble et lisse institution. Ses (trop rares) victimes consentantes n’en ont sûrement pas oublié les effets pervers et les délices intimes. Les autres en découvriront tardivement l’odieuse modernité.
Elisa Point, L’Assassine (Garage/Musidisc)