Sonia Kronlund, productrice de l’émission de France Culture “Les Pieds sur terre”, a proposé à sept personnes de raconter sur scène un moment de leur vie, à la limite de l’extrême. Captés au Théâtre du Rond-Point, ces brefs récits constituent le corps des « Pieds sur scène », formidable émission de radio, pleine de vie et de souvenirs.
Seuls sur scène, ils ont l’allure de vrais comédiens, tant leur diction est parfaite, tant leur corps est tenu, tant leurs récits semblent empreints d’une singulière intensité. L’intensité de leur propre existence, des souvenirs qui traversent leur vie présente. Sept personnes inconnues du public ont accepté de relever le défi que leur a lancé Sonia Kronlund, productrice de l’émission de France Culture, Les Pieds sur terre : évoquer en dix minutes un moment de leur vie “A la limite de l’extrême”, titre de cette émission spéciale.
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Bien que non comédiens, ils sont comme des acteurs faisant face au public du Théâtre du Rond-Point : leur voix, posée, porte loin, leur regard concentré, telle une luciole dans l’obscurité de la salle de spectacle, capte les auditeurs, fascinés par ces récits de vie fragmentés. Ces faux-vrais acteurs se souviennent d’épisodes tendus de leur passé, plus ou moins traumatisants, plus ou moins anecdotiques, plus ou moins poétiques. Comme si la singularité de ces événements pouvait faire écho à l’universalité de nos conditions d’existence.
A la limite de l’extrême, c’est se confronter à la possibilité d’une bascule, au vertige d’un chaos, à l’opacité d’une expérience. Sur le fil du rasoir, au ras de leur épreuve : les pieds sur scène, chacun s’évertue, par les mots, à maîtriser sa vie, à l’extraire des gouffres dans lesquels elle s’est perdue un temps. Un commissaire de police, qu’on croirait sorti du Conservatoire tellement il “joue” à la perfection sa propre vie, évoque son travail quotidien harassant qui l’oblige à se confronter à la misère sociale et psychique. Une journaliste évoque sa métamorphose physique durant son séjour de correspondante de guerre en ex-Yougoslavie : son visage gonfla soudainement un matin de manière monstrueuse, comme l’indice de son allergie à la guerre. Un alpiniste évoque l’épreuve de l’ascension de l’Everest, son nirvana absolu. Une écrivaine, Cécile Coulon, se souvient avec amertume de la violence de l’adolescence, surtout lorsqu’elle se livre à la moquerie et au harcèlement des souffre-douleurs. Une autre écrivaine, rwandaise, Annick Kayitesi, revient sur l’expérience du génocide. Une cadre supérieure dans le monde des télécommunications évoque les plans de licenciement qu’on lui a imposé de mener au long de sa carrière et auxquels elle a fini par dire non, pour changer de voie et devenir formatrice…
Une grande variété de sensations flotte sur la scène du Rond-Point que l’émission de radio capte précisément. En écho aux sons que Sonia Kronlund propose chaque jour dans Les Pieds sur terre, ces pieds sur scène dessinent aussi quelque chose de très précis et de très vif des horizons de vie d’aujourd’hui. Comme dans la collection de brefs récits créée récemment par Pierre Rosanvallon, “Raconter la vie”, Les Pieds sur scène offrent une coupe transversale et renversante de notre monde social. Un monde tramé de rapports de domination, de moments d’étrangeté, d’instants éphémères qu’on voudrait oublier si la mécanique de la mémoire ne les transformait en expériences à dire, à redire, pour apaiser les traces des brûlures invisibles. Entre pur document et œuvre de création (par la mise en scène de son propre récit), cette formidable émission de radio invente une musique à part, dissonante dans son approche du verbe, éclairante dans son approche de la vie.
Les Pieds sur scène, sur France Culture, les jeudi 29 et vendredi 30 janvier dans Les Pieds sur terre, à 13h30
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