Fabulous troubadour. Le phénomène est annoncé, calibré : Mundy sera le sauveur du rock irlandais avec son album Jelly legs. Déjà comparé à Dylan, Van Morrison ou Kurt Cobain, le jovial et rondouillard Edmund Enright, 21 ans, regarde pourtant cette frénésie de la rive, à la fois amusé et apeuré. Pour se convaincre que lui […]
Fabulous troubadour. Le phénomène est annoncé, calibré : Mundy sera le sauveur du rock irlandais avec son album Jelly legs. Déjà comparé à Dylan, Van Morrison ou Kurt Cobain, le jovial et rondouillard Edmund Enright, 21 ans, regarde pourtant cette frénésie de la rive, à la fois amusé et apeuré. Pour se convaincre que lui et Mundy ne font toujours qu’un, il n’hésite pas, loin des projecteurs, à promener sa vieille guitare sèche sur les trottoirs de Dublin.
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Ne croyez surtout pas les gens qui vous parlent de Mundy comme d’une seule et unique personne, capable d’endosser à la fois les costumes pesants du nouveau Kurt Cobain, du nouveau Van Morrison et du nouveau Dylan. On aura du mal à vous le prouver, mais en vérité, on dénombre au moins une demi-douzaine de Mundy. Il y a celui de la scène rigolo, triste ou convulsif selon l’humeur des chansons traversées , celui des fins de soirées au pub spontané, rieur, typiquement irlandais et puis celui qui se referme un peu dès qu’on enregistre ses propos pour les besoins d’un article. Il y a le Mundy qui mérite les présages avantageux de la presse anglo-saxonne et celui qui les rejette tranquillement, trop modeste pour marcher dans la combine de la surenchère. Le Mundy public, vedette rock annoncée et le Mundy privé, rongé par la peur d’échouer. « C’est assez dangereux, toutes ces assimilations. Tout ce qu’on dit à mon sujet me rend franchement pessimiste, parce que maintenant tout le monde va m’attendre au tournant. Si on vient à un de mes concerts en espérant voir la grande révélation de l’année et que je suis dans un mauvais soir, je suis foutu. Les gens ne me laisseront pas de deuxième chance. » Il y a des complexités qui dérangent, des va-et-vient schizophrènes qui pourrissent les rapports humains. Il y a aussi des personnages dont les contradictions enchantent. Mundy fait partie de ceux-là : à la fois gamin naïf et vieux sage irlandais, il pratique à merveille cet art instable qui consiste à prendre à contre-pied chacun de ses interlocuteurs. Pas par vice, pas par jeu. Pas non plus pour tirer avantage de ce fouillis intime dont il n’a probablement pas conscience. Plutôt par inadvertance, par accident, en se contentant d’être lui-même, petit homme ivre de sentiments contraires, incompatibles. Le Mundy rencontré à Dublin en ce début d’automne pourrait très bien lever son verre à ses conquêtes annoncées « Je sais qu’avec ces chansons-là, je peux aller très loin » puis se prendre la tête à deux mains en se jurant traversé par d’insondables doutes existentialistes. « J’aimerais tellement y croire à fond, me dire que je mérite toute cette attention. Mais je n’y arrive pas, je suis trop méfiant. Pourquoi moi ? Pourquoi si vite ? J’ai toujours été un type plutôt optimiste, mais là, depuis quelques mois, je suis le seul à ne pas croire en moi. J’ai l’impression que celui qu’on compare à Dylan ou à Cobain est un autre que moi, un imposteur. Je n’ai pas souhaité toutes ces comparaisons, elles me gênent énormément. Et en même temps, je sais qu’elles me rendent plutôt service commercialement. » L’illustration la plus marquante de ce décalage, de cette opposition entre le Mundy public homme de scène déterminé et son double intime pas à l’aise dans les fringues de star que d’autres ont taillées pour lui , c’est l’étrange amalgame façonné par son groupe. Derrière lui, ils sont trois, tous copains de longue date recrutés avant que le nom de Mundy n’apparaisse dans les journaux spécialisés. Ensemble, ils ont l’air empoté d’un groupe de bal de sous-préfecture. Le bassiste, avec sa chouette coupe Jethro Tull, n’a que 23 ans mais en paraît 50. Le guitariste, crâne rasé et attitude ad hoc, pourrait être le lointain cousin de Flea, le poète des Red Hot Chili Peppers. Ajoutez un batteur sans relief et les rondeurs de Mundy, et vous aurez une idée assez précise de ce que peut être la disgrâce en musique. Une pesante absence de charisme que l’on oubliera pourtant sans mal lorsque ces quatre-là se mettront à jouer. « Notre allure prouve que nous ne sommes pas des mercenaires du show-business. Si j’avais visé le succès immédiat, je me serais entouré de mannequins bien fringués, de playboys à la noix. A la place, je joue avec trois potes qui me connaissent depuis longtemps et me comprennent. Eux ne me prennent pas pour le nouveau Kurt Cobain, ils me prennent juste pour Mundy. »
Edmund « Mundy » Enright a 21 ans. Il a grandi à Birr, riante bourgade plantée en plein centre de l’Irlande et traversée d’une rivière au nom charmant, la Suck. Quelques centaines d’habitants, aucun groupe de rock officiellement déclaré, et ce triste record : celui du plus grand nombre de pubs par habitant, un pour quinze personnes. « Ça veut dire que lorsqu’on tient un pub, comme mes parents, il faut rester ouvert une bonne partie de la nuit même illégalement et faire boire les clients pour pouvoir payer ses factures à la fin du mois. » Comme PJ Harvey, Edmund a grandi à l’étage supérieur, juste au-dessus du brouhaha nocturne. « Je lisais récemment un article où elle disait que le fait d’avoir dormi à l’étage d’un pub lui avait inculqué le sens du rythme et de la musique. J’ai connu la même chose : la nuit, j’écoutais le juke-box et inconsciemment, je crois que j’enregistrais tout ce que j’entendais. Un peu plus tard, dès que j’ai été en âge de jouer, c’est évidemment au pub que tout a commencé. En fin de soirée, on me demandait de sortir ma guitare et je ne me faisais pas prier plus de deux ou trois minutes. » Entre 12 et 16 ans, Mundy fait ses armes, s’écorche patiemment les doigts sur une guitare de brocante. Il n’écrit pas encore, préfère chanter les autres Hendrix ou les Doors, qu’il écoute en boucle. Parfois, il griffonne des petits poèmes. « J’ai toujours été porté sur la confession. Même petit, j’aimais écrire sur les sentiments. » La suite de son parcours sera singulièrement romanesque : Mundy quitte ses parents à 16 ans, prend le bus pour Dublin et s’installe chez des copains fumeurs de joints. « Je sais que ça peut paraître un peu cliché, mais dans mon cas, c’est véridique : je suis allé à l’école de la rue. Pour moi, à Dublin, il n’y avait pas d’autre scène accessible que celle que proposent les petits clubs de folk que je fréquentais deux soirs par semaine. Alors pour gagner décemment ma vie, je n’avais pas le choix. Il fallait faire la manche sur Grafton Street, la grande rue piétonne de Dublin. C’est là que j’ai tout appris : la modestie, le respect du public, mais aussi la rage de jouer, le besoin d’aller au casse-pipe. J’ai aussi compris que la musique était une bénédiction. Dans la rue, on croise des tas de gens qui n’ont rien. Des mendiants, des junkies, des putes. Alors quand on a des chansons, c’est déjà un bon point de départ. »
Sur Grafton Street, tout près du Marks & Spencer, il chante Dylan et REM Drive et Pop song 89 et ramasse environ 10 livres sterling par heure. « Ça me permettait de me loger à peu près décemment et de boire quelques bières le soir. » A Dublin, le bouche-à-oreille lui fournira vite un petit fan-club, consolidé chaque mardi soir dans la cave de l’International Club, nom pompeux pour un tripot logeant péniblement soixante-dix spectateurs. C’est là qu’il éprouvera en public les chansons qui formeront Jelly legs, son premier album. Trois ans d’écriture pour une quinzaine de chansons : exercice facile. « Je n’avais aucune pression, pas encore de maison de disques sur le dos. Depuis, les choses ont bien changé. Par l’intermédiaire d’Hazel O’Connor, j’ai rencontré une fille formidable qui m’a trouvé un contrat discographique en quelques semaines. Même si elle me couve et gère très bien ma carrière, j’ai parfois l’impression de devenir un vieux bonhomme. On me parle de contrats, de ventes de disques et je me force à être sérieux et à donner mon avis. Ça me fout la frousse, j’ai l’impression de trahir l’enfant que j’étais. Alors, dès que j’ai un moment, je retrouve mes copains et on traîne dans les jardins publics de Dublin. On fait les cons, on jette des pierres sur les pigeons, on se moque des petits vieux… J’ai très peur de changer, de ne plus être le vrai Mundy. C’est pour ça que je refuse de déménager. J’habite toujours dans l’immeuble pourri où je logeais lorsque je faisais la manche. Il y a trois semaines, on m’a piqué tous mes CD. Tout ce qu’on m’a laissé, c’est la dizaine de disques vinyles que j’avais lorsque je suis arrivé de Birr il y a cinq ans. Après avoir râlé dix minutes, je me suis fait une raison : finalement, tant mieux si on m’a piqué mes CD et s’il ne me reste que mes vieux Dylan et Donovan. C’est un peu comme un signe du ciel ; pour rester authentique, fidèle à celui que j’étais au départ, rien de mieux que de vivre dans cette espèce de squatt, sans confort ni CD. » Même s’il se bat pour lui échapper, tout porte à croire que la modernité ne fera qu’une bouchée de Mundy. A Londres, où l’on a décidé qu’il était légataire de tous les talents connus chez l’homme, des gens qui lui veulent du bien l’encouragent à quitter Dublin, à passer sa vie sur les routes avec son groupe d’Aristochats du rock. Ce sont les mêmes qui l’ont expédié en studio avec Youth, le producteur célébré de U2, PJ Harvey ou Nine Inch Nails. « Au départ, je ne savais pas quoi en penser, mais je crois que ce choix était bon. Youth est un producteur qui réfléchit en termes de couleurs. Il travaille comme un peintre, pas comme un technicien. Même si mes chansons sont plutôt classiques, j’étais content de les voir abordées de cette manière. » Dans un ultime élan d’optimisme, Mundy dit se sentir parfaitement épanoui, entouré par des gens qui le comprennent. Il le jure : on ne le forcera jamais à devenir ce qu’il n’est pas, à jouer ce rôle de porte-drapeau irlandais qui en a perdu d’autres avant lui. Récemment, Edmund est retourné faire la manche sur Grafton Street. « Pour ne pas me couper de mes racines, retrouver des sensations. Ma chanson Life’s a cinch résume la façon à la fois cynique et optimiste dont je vois la vie. « La vie est une partie de plaisir » si on décide de fermer les yeux sur tout le foutoir qui nous entoure. J’ai souvent tendance à procéder comme ça : je réduis mon champ de vision, je me contente de regarder ce qui va bien, ce que je connais et maîtrise, et là, d’un seul coup, tout s’arrange. Je devrais peut-être procéder comme ça pour ma carrière : me refermer, ne plus lire ce qu’on écrit sur moi. Me concentrer sur mes chansons, ma musique, et oublier que des gens vont les entendre. A défaut d’y parvenir, je ne sais pas comment je vais tourner. Si je suis incapable de me couper de la critique, je vais peut-être devenir… le nouveau Kurt Cobain. »
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