Pour les artistes anglais et américains, qui l’ont découvert en retard et lui vouent aujourd’hui un amour sans limites, Gainsbourg incarne l’image suprême du dandy doublé d’un songwriter de haute voltige. De Beck aux DJ et de Sonic Youth aux rappeurs, petite revue de la gainsbourmania actuelle.
C’était il y a quatre ou cinq ans, au Zénith, à Paris, durant un concert de Sonic Youth. Le groupe n’était pas dans ses meilleurs jours. Du coup, on s’est résigné à flâner dans les allées contingentes de la salle, histoire de mater le merchandising de la troupe. Là, parmi quelques affiches et CD, trônait un T-shirt, magnifique, à peine orné du logo du groupe, mais arborant un portrait magique de Jane Birkin, piqué sur la pochette d’un album enregistré en duo avec Gainsbourg, à la fin des années 60.
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La correspondance n’était pas évidente. Quels rapports entre les héritiers pseudo-bruitistes de la no-wave new-yorkaise et l’homme à tête de chou ? Pourtant, la postérité de Gainsbourg semble, depuis quelques années, assurée grâce à des artistes qui le portent en étendard et l’encensent, sans jamais réellement exploiter la matière première de son héritage.
Pour Sonic Youth, mais aussi pour Beck qui, lors de son récent concert donné en privé pour Canal+, reprenait avec fougue L’Anamour en compagnie de Jane Birkin, Gainsbourg symbolise sans doute tout un savoir-faire musical qui mêle dans un même élan inventivité artistique et assise populaire. Sonic Youth, Beck ou encore les Anglais des Tindersticks vouent sans doute à Gainsbourg le même culte qu’ils vouent à Lee Hazlewood, autre orfèvre pop exigeant.
Gainsbourg est aussi fortement sollicité par tous ceux qui voient d’abord en lui un monstre sexuel, en tout cas un type moche qui se tapait les plus jolies filles du monde sans sourciller et mettait tout ça en chansons : Momus, le premier, a repris à son compte ces excursions salaces, tout en s’attachant, en compagnie de ses camarades du label el, à emprunter l’esthétique pop de Gainsbourg. Sur l’un de ses premiers disques, il reproduisait l’une des pochettes mythiques de Gainsbourg, posant assis devant une table, contre un miroir avec, devant lui, un pot de fleurs.
Les New-Yorkais de Luna, il y a quelques années, s’attachaient à reprendre l’un des hymnes de Gainsbourg, Bonnie & Clyde. A l’époque, Dean Wareham, leader de Luna, associait Gainsbourg à Lee Hazlewood et son arrangeur, Billy Strange. Pour lui, Gainsbourg appartenait de fait à cette nébuleuse de songwriters, qui, dans la foulée de Phil Spector, se sont évertués à reformater la pop en remettant du sel, du poivre et un peu de cul : l’attraction sexuelle de These boots are made for walking ne renvoie-t-elle pas à celle d’une pléthore de morceaux signés Gainsbourg ? Psychic TV ne s’y est pas trompé qui, à la fin des années 80, reprenait Je t’aime… en version acid-house, quasi homoérotique.
Au-delà des artisans de la pop, Gainsbourg séduit aussi les manufacturiers du beat hip-hop : à New York et Londres, dans les musées et les magasins spécialisés où gravitent tous les producteurs de rap et de musiques électroniques, les albums de Gainsbourg occupent une place de choix et les éditions originales s’envolent à des prix vertigineux. Pour une raison simple : des disques comme Melody Nelson ou L’Homme à tête de chou regorgent de trouvailles sonores, de sucreries musicales, de rythmes chaloupés, de breakbeats et de rythmes imparables qui nourrissent les samplers gourmands et donnent aux morceaux produits une saveur inattendue. En ce sens, pour des producteurs américains, Gainsbourg garde un certain exotisme et une fraîcheur musicale qui en font une mine gorgée d’idées et de sons, permettant à celui qui veut se distinguer de piocher sa créativité ailleurs que dans les sempiternels rythmes classiques chourés à James Brown ou Funkadelic.
Finalement, de Beck à Psychic TV et à la musique électronique, l’attraction de Gainsbourg se comprend comme celle d’un auteur à la fois iconoclaste et classique, ayant su trouver un équilibre délicat mais constant entre ces deux pôles d’attraction.
Alors qu’on l’a longtemps vénéré pour son écriture, ses mots et ses chansons, ses petits-enfants illégitimes vouent un culte à sa musique, à son savoir-faire de touche-à-tout de génie et aux atmosphères qui sourdent de ses disques, imbibées de cul, d’ingéniosité et de liberté.
Joseph Ghosn
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