Dans son autobiographie, parue dans la collection du Seuil Raconter la vie, Omar Benlaala décrit sa découverte de l’islam au milieu des années 1990, son investissement à la mosquée et ses voyages spirituels, jusqu’à sa désillusion et son retour à la vie « anonyme ».
La sortie de ce livre était prévue depuis un an. Personne ne se doutait que la question du rapport entre laïcité et religion musulmane serait sur toutes les lèvres en France au moment de sa parution, le 15 janvier. Omar Benlaala, jeune quadra parisien, se dit aujourd’hui « serein » et « apaisé ». On passe une heure au téléphone avec lui, pour discuter de La Barbe, le livre dans lequel il retrace dix ans de sa vie de croyant. Un ouvrage paru au Seuil dans la collection Raconter la vie, créée par Pierre Rosanvallon pour donner la parole aux « invisibles”.
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Le chemin de la foi, Omar Benlaala l’a emprunté en 1995, alors qu’il n’avait que 20 ans. Déscolarisé après la troisième (« ma prof de français a trouvé ça scandaleux, car j’étais très bon en français« , précise-t-il), il commence à « traîner » dans le quartier de Ménilmontant, à Paris, à partir de 15 ans. « Mais je ne trouve pas ma place, je ne suis pas un voyou… Je souffre de cette période, mais je sais pas où aller, à part la rue. »
Premier contact avec la mosquée
Il a suffit de l’invitation d’un ami pour que sa vie bascule. « Il y a du thé et des cacahuètes« , lui promet simplement ce dernier, avant de l’entraîner dans une mosquée de quartier. « Dans la rue, je suis regardé un peu comme le vilain petit canard. Quand j’arrive à la mosquée, on commence à me dire que je suis quelqu’un d’important, que là se trouve mon héritage« , raconte-t-il.
La révélation est immédiate : Omar ne quitte plus ce qu’il appelle « la maison du Grand Architecte », y passe la plupart de son temps, au grand dam de sa famille, qui le voit s’éloigner sans pouvoir le rattraper.
« On était en août 1995, au lendemain des attentats du RER B. Ma famille entend que ceux qui les ont perpétrés sont des jeunes, un peu paupérisés, déscolarisés… Ils s’imaginent que je vais devenir comme eux. Donc en plus, quand je leur dis que je vais partir faire un premier voyage pour apprendre la religion au Pakistan, ils sont paniqués. »
Omar fait partie du mouvement tabligh, un mouvement de prédicateurs venu de l’Inde et du Pakistan. Il passe une grande partie de son temps en France à déambuler dans les rues de son quartier pour prêcher la bonne parole et « ramener les jeunes à la religion« , dans l’intention de leur faire découvrir cette foi qui l’a sorti de la rue. « Je me rends compte que, juste en me laissant pousser la barbe, en empruntant le discours religieux, on m’écoute, alors qu’avant ça, on ne m’écoutait jamais« , résume-t-il.
Le symbole de la barbe
Mais se balader dans la capitale en 1995 n’a rien d’anodin lorsque l’on arbore une barbe touffue et les habits traditionnels musulmans. Cette pilosité faciale, Omar Benlaala la considère comme un symbole, un marqueur fort qu’il gardera, à la vue de tous, pendant dix ans. « Au début c’était pour faire un peu comme tous les gens à la mosquée, ça va avec le personnage« , explique-t-il, « Puis, peu à peu, on prend goût à la reconnaissance. Dans mon esprit d’adolescent, je me disais que si je la coupais, je redeviendrais le mec qu’on ne regarde pas. » Ce n’est que lorsqu’il la coupera, au milieu des années 2000, qu’il réalisera l’ampleur du « soulagement » de ne plus être toisé par les passants, et du « pouvoir qu’est l’invisibilité« .
Après plusieurs années à voyager en Asie à la fin des années 1990, il commence à remettre en question son investissement. Les rencontres qu’il fait en Inde le font douter de la portée de son discours. Il est en particulier touché par la dévotion d’un de ses guides, qui se levait en cachette la nuit pour laver le linge sale de ses amis :
« J’ai vu dans leurs actes ce que je prêchais. Ce sont des gens extrêmement tendres, sensibles, qui pleurent pour un rien. Je me suis rendu compte que je n’étais qu’un perroquet. Je parlais des qualités qu’il fallait avoir, j’avais envie de ça mais j’en étais complètement incapable. J’avais le cœur extrêmement dur, j’étais un espèce de petit arrogant qui prêchait pour sa paroisse. »
Les nuits passées à faire la fête
De retour à Ménilmontant, Omar se réfugie dans la fête et tout ce qu’on peut y associer comme substances illicites. Il passe la plupart de ses nuits dans les boîtes de la capitale, et dort la journée chez ses parents pour reprendre des forces avant de recommencer le soir. Seul détail: il garde sa barbe. « En boîte, j’étais le centre de l’attention. Il n’y avait pas encore de hipsters à cette époque ! » ajoute-t-il en riant. « Avec ma barbe, mon nez aquilin et ma tête d’Arabe, au lendemain des attentats du 11 Septembre, je ne passais pas inaperçu… »
Après trois années de vie nocturne, il met un terme à la fête, coupe sa barbe et retourne vers sa famille, qui l’accueille à nouveau, soulagée. Depuis, Omar Benlaala a rencontré sa compagne (« J’ai voyagé à des milliers de kilomètres pour rencontrer l’amour au café du coin« ) et partage son temps entre la lecture et l’écriture. Il écrit tous les jours, pour « s’entraîner » et espère pouvoir faire de sa passion un métier.
« Ce livre s’adresse aux jeunes qui se cherchent dans la religion »
Il est aussi persuadé que son autobiographie peut rassurer des parents inquiets de voir leurs enfants se tourner vers l’islam : « ce livre s’adresse aux jeunes qui se cherchent dans la religion. » Pourtant, malgré ce que sous-entend la dernière de couverture de La Barbe, Omar n’a jamais croisé le chemin de jeunes gens s’étant enfoncés dans « l’islamisme » pendant ses voyages. Simplement des croyants, plus ou moins souples sur les règles à suivre lorsque l’on est « prédicateur ».
Le père d’Omar a, quant à lui, été très ému à la lecture de La Barbe. L’écrivain s’en souvient : « La semaine dernière, une librairie avait organisé une rencontre pour la sortie de mon livre. il a pris la parole devant tout le monde, et il a dit ‘j’ai eu mal pendant toute cette période, mais je n’ai jamais abandonné mon fils ‘ ». « Ce livre, c’est aussi une manière de demander pardon à ma famille », conclut-il.
La Barbe de Omar Benlaala; (Seuil), 101 pages, 9 €, raconterlavie.fr
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