Le samedi 24 et le dimanche 25 janvier, « Atlas » se produira au théâtre Nanterre-Amandiers. Nous avons assisté aux répétitions de cette pièce qui tente de battre en brèche la frontière entre acteur et spectateur.
Montée dans plusieurs pays à travers le monde, Atlas n’est pas une pièce comme les autres. Ses 100 acteurs sont à chaque fois recrutés sur place, parmi des volontaires issus des professions les plus diverses.
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En une semaine, la troupe d’Atlas va apprendre à ce petit échantillon d’une société à exister sur scène. Le but est de donner à chacune des 100 personnes un espace de parole non-prédéfini. Durant le spectacle, ils vont défiler sur scène et faire entendre leur voix, les uns après les autres. Le plateau se remplit petit-à-petit jusqu’à ce que cette accumulation crée une telle masse de corps que le rapport entre public et acteurs s’égalise presque.
Nous avons rencontré Antonia Buresi, membre de la troupe, et Ana Borralho, metteur en scène et co-créatrice du projet :
« Dans combien d’endroits différentes avez-vous joué Atlas ?
Nous l’avons monté dans 25 lieux différents. Trois ou quatre fois au Portugal, deux fois en Suisse, en Belgique, en Grèce, en Espagne, en Italie, au Brésil, en Finlande, en Estonie et, maintenant, nous en avons plusieurs prévus en France ; à Montpellier, à Auch et à Valenciennes. La semaine dernière, nous l’avons fait à Saint-Médard, juste à côté de Bordeaux.
Comment se passe les répétitions avec ces acteurs qui découvrent le théâtre pour la plupart ?
Il faut d’abord mettre tous les participants en confiance. Leur apprendre à développer une aisance sur scène et une écoute de leur partenaires. Chaque répétition commence par une séance d’échauffement où, comme aujourd’hui, ils apprennent à établir un contact physique entre eux puis nous dansons tous ensemble et enfin nous commençons à répéter la pièce à proprement dite. Cette phase d’échauffement est très importante car elle tisse un lien entre les participants et prépare l’éclosion de la parole qui arrive plus tard. Chaque personne se présente, dit quelque chose qui lui tient à coeur dans la vie. C’est toujours un moment très intense. Par exemple, il y a deux semaines, nous avions commencé à répéter le 8 janvier donc le lendemain de ce qu’il s’est passé à Charlie Hebdo. La parole qui a été générée par l’émotion que nous ressentions tous était fascinante. Dans ce groupe-ci, nous sentons que les gens ont besoin d’exprimer une peur liée au contexte actuel, de la crier pour l’évacuer. C’est un endroit, un moment, assez sensible. Par exemple, même hier, un jeune garçon de 19 ans a dit « Moi je n’aime ni la barbarie, ni Charlie Hebdo » et il veut répéter cette phrase dans le spectacle. Après cette déclaration, des gens sont venus nous voir pour en discuter. Donc oui, c’est périlleux et délicat mais en même temps passionnant de voir à quel point Atlas est lié au contexte dans lequel la pièce est montée.
Une grande partie du travail de répétition que vous demandez à vos acteurs est basé sur le rapport à l’autre, autant verbal que physique, avez-vous observé des différences entre les pays à ce propos ?
Oui, en Estonie par exemple, nous jouions dans une très petite ville, tout le monde se connaissait. Ca m’a rappelé Dogville (ndlr. le film de Lars Von Trier). C’était assez difficile de les amener à se toucher les uns les autres. Mais après trois ou quatre jours de répétition, ils commencent à se relâcher et à ressentir le besoin de contact avec l’autre. Aujourd’hui, dans notre société occidentale, on ne se touche presque plus. Au Japon, ils se touchent encore moins. Par contre, ce sont des clichés mais, au Brésil, c’était complètement diffèrent. Leur rapport à la danse est beaucoup plus développé que chez nous. Les codes ne sont pas les mêmes. A Gand en Belgique, du côté flamand, les gens étaient très disciplinés. Ils avaient une rigueur qui se retrouvait dans leur proposition et nous avions du mal à les faire sortir de cette rigueur. Au contraire, en Italie, nous avions besoin de travailler la discipline mais ils n’avaient pas de problème du côté de la créativité.
Maintenant que vous êtes arrivés à votre 25e Atlas, qu’est-ce qui vous intéresse le plus, est-ce les répétitions ou le résultat final ?
Quand nous avons commencé avec la pièce en 2011, nous pensions n’en faire qu’une. Puis nous avons monté la pièce à nouveau et, là, nous avons réalisé à quel point le processus nous plaisait. On a compris qu’il était aussi très important pour les gens, plus que le résultat. On apprend énormément de choses sur les gens et la société dans laquelle ils vivent en montant cette pièce. Pour moi, le résultat est aussi important que le processus de création. Et puis, on passe quand même du temps avec eux. On pourrait s’imaginer qu’avec 100 personnes en une semaine, nous sommes condamnés à rester dans l’anonymat et dans la gestion d’un groupe mais pas du tout. Ils se livrent et un lien se crée, notamment le premier jour avec ce tour de table où chacun raconte un peu qui il est. Ils s’engagent très vite dans une confiance envers nous et dans le partage avec le groupe. Après le spectacle, ils continuent même parfois à se voir via des associations ou les réseaux sociaux.
Quelle est la portée politique de la pièce ?
Mon inspiration pour cette pièce se trouve aussi dans le travail de Joseph Beuys. Il veut que le spectateur se voie sur scène, comme dans un mirroir. Notre but est d’effacer au maximum cette frontière entre la salle et le scène. Avec Atlas, on réalise ce saut. Le spectacle est une expérience qui nous enseigne qu’on fait tous partie d’un monde, qu’on peut tous exprimer sa voix et qu’on partage une responsabilité commune. La notion de prise de parole et d’échange est très importante pour nous. Dans notre société, les clivages empêchent les croisement entre les gens. Là, nous assistons à une somme de parcours qui nous amène à échanger et à écouter. La prise de parole de chacun s’effectue à égalité.
Est-ce la représentation d’une utopie ?
Je ne sais pas si c’est une utopie. Le message consiste aussi à dire qu’on a tous, individuellement, une voix et que, si on additionne cette voix à d’autres voix, on peut changer les choses. Il y a donc un côté très concret et ancré dans le réel. C’est une prise de conscience de notre capacité à secouer le monde. Cet aspect là de la pièce est une ode à la démocratie mais à une démocratie à petite échelle, qui s’organise en petit foyer.
D’où vient le titre de la pièce, Atlas ?
Il vient du titan grec qui a été condamné par Zeus à porter le monde sur ses épaules. Ce titre est aussi lié à l’origine de la pièce. En 2011, le premier Atlas a été créé pour l’anniversaire d’un théâtre mais aussi parce que nous sentions que nous devions faire quelque chose en rapport avec la crise financière et les coupes budgétaires qui sévissaient au Portugal à l’époque. Il y avait une nécessité de dire non, de créer un espace de parole et d’expression de ce désaccord. A ce moment, il s’agissait vraiment de dire non dans la pièce. Puis, quand on a commencé a tourner avec Atlas, on s’est rendu compte que la pièce pouvait aussi servir à dire oui.
On sent le plaisir et le côté thérapeutique de l’expérience que vivent ces 100 personnes, cette vertu thérapeutique est-elle un de vos objectifs ?
On a conscience que cela fait du bien aux gens d’être sur scène, de s’exprimer et de renouer un contact physique avec l’autre mais ce n’est pas notre volonté première. Notre rôle n’est pas de soigner ou d’enseigner quelque chose. C’est une rencontre, un échange qui permet l’expression de la parole, la création d’un réseau social. Nous leur amenons simplement un projet et une structure scénique dans laquelle ils peuvent s’exprimer. »
Au moment de la pause, nous avons également pu discuter avec ces acteurs d’une semaine qui nous ont fait part de leur impressions. « Lors des premières séances, quand chacun a commencé à parler de lui, de ce qui était important dans sa vie, même en terme de citoyenneté, c’était très fort, beaucoup plus fort que ce que je pensais« ; nous raconte une attachée culturelle de la ville qui a même fait louper l’école à sa fille pour qu’elle puisse participer à l’expérience. Une autre participante pense que « L’intérêt de ce travail, c’est de voir les barrières tomber, de se rendre compte qu’il n’y a pas d’espace entre des « artistes » et le public. Et puis cela donne un panorama de la ville de Nanterre« . Une des comédiennes conclut : « Nous sommes issus de tous les milieux, de tous les âges et de toutes les professions mais ce que nous avons en commun, c’est le goût pour l’expression et le théâtre. Pour la première fois, je préfère être sur la scène plutôt que dans le public. C’est une bouffée d’oxygène!« .
Représentations le samedi 24 à 20h30 et le dimanche 25 janvier à 15h30, durée : 1h10, spectacle gratuit mais réservation conseillée sur le site du théâtre de Nanterre-Amandiers ou par téléphone.
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