Allégorie d’un monde consumériste jusqu’à l’écœurement autant qu’éloge de la débrouille, Les Fils conducteurs de Guillaume Poix est d’une poésie rare.
Thomas, photographe, hante les faubourgs du port d’Accra, la capitale du Ghana, à la recherche de ces décharges de produits électroniques où s’entassent les appareils ménagers obsolètes. Ce qu’il observe avec délectation et horreur comme les poubelles de l’Occident regorge pour Isaac et Moïse, gamins du ghetto, de trésors potentiels dont ils revendront les métaux précieux, extraits à la sueur de leur front pour survivre.
Les gosses plongent dans l’antre maléfique comme des chasseurs de perles, intoxiqués par les produits chimiques et le plastique brûlé par d’autres damnés de la terre. Dotées d’une magie étrange qu’eux seuls perçoivent, certaines machines désuètes deviendront pour ces enfants des talismans. Jacob saura-t-il comme dans la Bible atteindre le haut de l’échelle et sortir ses compagnons d’infortune du lieu mortifère ? Ou cédera-t-il aux avances de Daddy Jubilee, ce mac aux allures de Méphistophélès qui vend le corps des gosses aux touristes ?
Cascades, fondus, zooms, entrechocs
Les deux histoires parallèles sont assemblées comme on monte un film : parfois par le biais des corps, d’autres par celui d’émotions similaires, vécues par les protagonistes dans des contextes radicalement différents. Seuls les objets de consommation témoignent d’une terre commune entre ces univers antagonistes. Confronté aux gosses, Thomas ne comprendra pas le “françanglais” qu’ils pratiquent à merveille, cet argot mélangeant les langues de l’ancien colon aux patois locaux.
L’écriture au fil du rasoir, très visuelle tant elle donne à voir des images en mouvement, invente sa grammaire propre : cascades, fondus, zooms, entrechocs. Metteur en scène et dramaturge, Guillaume Poix signe avec Les Fils conducteurs un premier roman d’une poésie rare. Un Rivage des Syrtes sur la Gold Coast, port des rêves brisés où s’accumulent les déchets d’un monde suréquipé et pourri. Yann Perreau
Les Fils conducteurs (Gallimard/Verticales), 224 pages, 18 €