Le “New York Times” dans la tourmente ? Pour certains médias outre-Atlantique, le quotidien a fait preuve d’une « dangereuse erreur de jugement » en publiant Marine Le Pen sans prendre de précautions éditoriales.
« Un coup de couteau dans le dos » : c’est en ces termes que le site d’information Quartz a qualifié lundi la place de choix que Marine Le Pen s’est vu accorder dans les colonnes du New York Times. La veille, le plus grand quotidien américain avait offert une tribune à la patronne frontiste dans l’onglet « Opinions ». Publiée en français et traduite en anglais, la contribution, intitulée « Bien nommer la menace », n’est assortie que de cette mention lapidaire en fin de page : « Marine Le Pen est présidente du Front national ». Une présentation qui, de l’avis de plusieurs journalistes américains, ne dit rien du périmètre idéologique dans lequel évolue le parti d’extrême droite.
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Sur le fond, Marine le Pen déroule le même argumentaire que d’habitude. Contre le « dogme de la libre circulation des personnes », elle en appelle à la « restauration d’un contrôle aux frontières nationales ». Contre l’« immigration massive » et le « repli communautaire », elle prône « une politique de restriction migratoire ». Contre le « fondamentalisme islamiste », elle défend la « déchéance de la nationalité des djihadistes ». Sans oublier en passant de renvoyer l' »UMPS » à son incurie… La petite musique, bien connue dans l’Hexagone, est sans doute moins familière outre-Atlantique qu’elle ne l’est en Europe. Un reproche adressé en ce début de semaine à la direction du New York Times par le site Quartz. Mais également par Aleszu Bajak, rédacteur à Science et Nature. Pour lui, cette absence de précisions sur les orientations du FN n’est pas sans poser un sérieux problème :
« Marine Le Pen is president of the National Front party in France. » -her intro in @NYTimes Op-Ed. No more context http://t.co/HxXV4nhj56 — Aleszu Bajak (@aleszubajak) 21 Janvier 2015
L’occasion de redorer son image à l’étranger
Pour ces observateurs américains, tout se passe comme si le New York Times donnait à Marine Le Pen l’occasion de redorer, à l’étranger, une image sérieusement écornée à l’intérieur. À en croire Abel Mestre, spécialiste de l’extrême droite au journal Le Monde, sa volonté de faire cavalier seul est un pari « raté » : « Marine Le Pen et le Front national ont paru comme étrangers à ce moment de communion nationale. » Le dimanche 11 janvier, elle s’était exclue de son propre chef de la marche transpartisane en l’honneur des dessinateurs de Charlie Hebdo, pour aller manifester en solo à Beaucaire. Pour Philip Gourevitch, journaliste au New Yorker, cette publication signe un pas supplémentaire dans la stratégie de dédiabolisation du Front national. Sur Twitter, il voit en ce coup de projecteur inédit « une pierre angulaire dans la quête de légitimation » de la chef de file frontiste :
Marine Le Pen OpEd @NYTimes & in French, too! A milestone in her radical right National Front’s quest for legitimacy: http://t.co/NnWBBT5Stx — Philip Gourevitch (@PGourevitch) 19 Janvier 2015
Une erreur éditoriale ?
Une critique que partage Emma-Kate Symons. Pour le site américain Quartz, elle s’est livrée ce lundi à un réquisitoire incendiaire contre l’« erreur éditoriale » du New York Times. La journaliste reproche à la direction de donner la parole à une personnalité « délibérément clivante » et s’insurge que son parti soit implicitement présenté, à des internautes non avertis, comme une formation politique fréquentable :
« [Après les attaques de Charlie Hebdo], Le New York Times n’a pas jugé adéquat d’imprimer ne serait-ce qu’une seule caricature de l’hebdomadaire satirique français, de peur de froisser les sensibilités des musulmans. Mais aujourd’hui, le Times a ouvert ses augustes colonnes à Marine Le Pen, présidente du parti d’extrême droite Front national et porte-parole privilégiée de l’islamophobie et du racisme. »
Avant d’ironiser : « De toute évidence, nous étions tous la France et tous Charlie l’espace d’environ une journée, mais cette loyauté s’est rapidement évaporée. » Dans un paragraphe passionné, elle monte au créneau pour dénoncer la liberté d’expression sélective du Times :
« Ce dont la France et les victimes [de Charlie] avaient besoin au sortir de cette catastrophe, c’était de la solidarité des autres nations et des médias internationaux qui partagent les mêmes valeurs occidentales, fondées sur l’engagement, démocratique et laïque, pour la liberté d’expression. Ils n’avaient pas besoin de la censure et de la promotion inexpliquée des thèses extrémistes de l’aile la plus droitière, qui cherche à exploiter les retombées d’une attaque terroriste orchestrée par des radicaux domestiques et est en quête désespérée de l’approbation du courant dominant. »
« L’un des meilleurs coups de pouce à la campagne présidentielle de Marine Le Pen »
Auréolée de ce leadership international fraîchement acquis, Marine Le Pen joue sur du velours. Au risque, selon Symons, que la xénophobie inscrite dans le patrimoine génétique du FN soit occultée par la presse mainstream :
« L’ADN du FN est fermement fasciste, et Le Pen n’a jamais renoncé au corps de doctrine de son père. Elle a simplement présenté un visage plus acceptable, en redirigeant sa haine contre les musulmans et en alignant son ‘programme’ économique incohérent sur un ersatz de populisme gauchiste anti-mondialisation. »
Sur Twitter, la rédactrice de l’article a composé un tweet violent, où elle « s’excuse de vomir » devant l’un des « meilleur[s] coup[s] de pouce à la campagne présidentielle » de Marine Le Pen :
Excuse me for vomiting: @nytimes gives fascist French leader Marine Le Pen best campaign boost for presidency, yet censored #CharlieHebdo — Emma-Kate Symons (@eksymons) 19 Janvier 2015
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