Alors qu’au PS on s’excuse de s’être excusé, les sociologues Alain Caillé et Roger Sue s’interrogent, au fond, sur ce qu’il reste de la gauche.
De gauche ?, ouvrage collectif coordonné par les sociologues Alain Caillé et Roger Sue, est né du constat général de la crise profonde de la gauche. En France et en Europe. Sur le plan électoral comme sur le plan théorique. Si on se limite à notre cas national, elle a perdu les trois dernières élections présidentielles, subissant au passage la claque FN du 21 avril 2002. Sarkozy a triomphé en 2007 parce qu’il a, entre autres, réarmé idéologiquement la droite. Mais sa façon de gouverner combinée à la crise devrait ouvrir un boulevard à la gauche en 2012 : or, cette dernière est éparpillée entre multiples courants, entre partis politiques et associations, entre luttes d’appareils et conflits d’ego, sans colonne vertébrale et sans champion indiscutable pour les prochaines échéances.
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Plus grave, elle n’a plus de programme et de contenu suffisamment fort, crédible et fédérateur. Le vieux logiciel marxiste est épuisé, l’anticapitalisme est un slogan réducteur et insuffisant, et plus grand monde ne croit aux lendemains révolutionnaires qui chantent. Aucune formation politique n’a accompli le vrai travail de fond programmatique qui redéfinirait ce qu’est la gauche (c’est plus compliqué qu’il n’y paraît, car historiquement, le livre rappelle que la gauche a été tout et son contraire : colonialiste et anticolonialiste, religieuse et antireligieuse, libertaire et antilibertaire, étatiste et anti-étatiste, etc. ) et comment l’adapter aux réalités de la mondialisation. Si elle continue ainsi, la gauche risque de ne pas accéder au pouvoir avant longtemps et de ne plus peser réellement sur l’évolution de la société.
Pourtant, tout n’est pas sombre. Les associations bouillonnent d’idées et d’activisme, et la réflexion intellectuelle bat son plein, contrairement aux idées reçues. “Pour qui veut bien se donner la peine de chercher ailleurs qu’à la télévision, il est clair que ce n’est pas le vide intellectuel qui menace, plutôt le tropplein”, écrivent Alain Caillé et Roger Sue dans leur introduction. De la théorie à la pratique, ils ont donc confié cet ouvrage collectif à ces intellectuels non médiatiques, du philosophe Serge Audier à l’économiste Yann Moulier- Boutang, du biologiste Jacques Testart au militant d’Attac Philippe Corcuff.
A chacun, selon son domaine de compétence, a été confiée la tâche de réfléchir à une notion prédéfinie (associations, capitalisme financier, classes sociales, démocratie, Etat, famille, migrations, solidarité, travail, etc.), d’en retracer l’histoire et si possible d’en proposer une conception renouvelée à l’aune du contexte contemporain. Ils sont tous “de gauche”, mais chaque intervenant a sa propre sensibilité. Et la force et l’utilité de ce livre résident dans son absence de présupposés idéologiques, si ce n’est celui d’aspirer à plus de justice sociale et de solidarité. Chacun mène un travail de réflexion dépassionnée, échappant aux clichés binaires, aux slogans faciles et au prêt-à-penser qui encombrent les débats politiques au quotidien.
La difficulté à cerner ce qu’est la gauche vient aussi de ce qu’il y a toujours eu plusieurs gauches, chacune ayant sa lecture particulière de l’égalité et de la liberté. Ce livre transdisciplinaire montre que redéfinir la gauche dans le monde actuel n’est pas si simple. La gauche autoritaire ou égalitariste a perdu de son influence du fait des désillusions du socialisme réel. L’émergence des luttes nouvelles des minorités, qu’elles soient religieuses, ethniques, sexuelles ou culturelles, est venue complexifier la donne : la redistribution des richesses ne saurait suffire à satisfaire ces combats ayant chacun leurs caractéristiques singulières.
Autre cadre-référent à repenser, l’Etat-Nationprovidence : il est en train d’être secoué de l’extérieur comme de l’intérieur par la mondialisation économique et par les flux migratoires. Enfin, le progrès, marqueur historique de la gauche, est une notion à redéfinir à l’heure de l’épuisement des ressources planétaires. En conclusion, les coordinateurs de l’ouvrage tentent cette définition : “La gauche est toujours plus favorable que la droite à des mesures de solidarité collective et à davantage d’égalité, et elle subordonne la perspective de l’émancipation individuelle, qui est son objectif ultime, à la liberté collective, qui seule permet de produire la solidarité et l’égalité, sans lesquelles la liberté individuelle se révèlerait illusoire pour le plus grand nombre.”
Si tant est que les composantes du peuple de gauche soient à peu près d’accord avec cette définition large, comment la traduire concrètement et politiquement ? Faire du monde associatif un partenaire sociopolitique de plein exercice est la principale piste dégagée par cet ouvrage pour continuer à porter une réelle espérance. Ce n’est pas gagné, mais c’est maintenant ou jamais que cela se joue.
(De Gauche ?, sous la direction d’Alain Caillé et Roger Sue, (Fayard), 424 pages, 22 €.
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