L’écrivain français réagit après les attentats qui ont secoué la France.
J’étais au Japon, sur l’île de Naoshima, quand l’horreur est survenue, inconcevable. J’en ai pris connaissance sur mon iPhone, dans ma chambre d’hôtel, en consultant les applications de Libé et du Monde, anéanti.
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J’ai alors souffert d’être si loin de Paris, jamais je n’avais senti à ce point dans mon existence que mon pays était la France et que j’étais français, et que là-bas était ma place, là-bas et nulle part ailleurs, en ces moments de terrible souffrance. Je n’ai pas été le seul à éprouver cette sensation si j’en juge par l’ampleur du mouvement qui s’est spontanément formé pour témoigner l’attachement qui est le nôtre, viscéral, identitaire, au principe de liberté d’expression, et à une certaine forme d’irrévérence, d’esprit d’insoumission, d’humour et d’ironie débridée, salvatrice.
A Osaka, vendredi après-midi, reclus dans ma chambre d’hôtel, branché sur BFMTV, j’ai appris que des rassemblements avaient lieu chaque jour place de la République pour rendre hommage aux victimes de Charlie Hebdo, et qu’une inédite et bouleversante union nationale était en train de prendre corps.
Les discours du Front national sont les dernières choses que l’on doit propager
Dans l’avion qui samedi me ramenait d’Osaka, soudain j’ai aperçu, sur la page d’un magazine feuilleté par un passager, le visage de Marine Le Pen : et ce visage je l’ai soudain trouvé terriblement vieilli et dépassé, comme annulé par le drame qui venait de nous frapper, un peu comme si j’étais tombé sur un très vieux journal et qu’entre-temps Marine Le Pen avait péri, politiquement péri, devenue obsolète, inutile, anachronique, terriblement inadéquate, évidemment dangereuse et destructrice, à la vue de tous désormais.
Je me suis dit que le pays était en train de se donner à lui-même, spontanément, comme s’il avait trouvé en lui des ressources insoupçonnées et qui le libéraient d’une amertume, de ses complexes et de ses peurs irrationnelles, une sublime leçon de hauteur et de responsabilité. Je me suis dit que ce drame avait permis à notre peuple une fulgurante prise de conscience et que soudain, fort de cette cohésion, nous avions tous compris, tous bords confondus, qu’il fallait s’unir autour d’un principe impérieux : dépasser la haine ordinaire et le régime de division continuelle qui régissent la vie de notre pays depuis plusieurs années.
Les discours du Front national sur l’immigration, la stigmatisation obsessionnelle des musulmans sont les dernières choses que l’on doit propager si l’on aime un tant soit peu son pays : nous formons un tout, les musulmans sont avec nous et il faut qu’ils le sachent, qu’ils le sentent, qu’ils ne soient pas abandonnés aux extrémistes qui n’attendent que l’aggravation de ce clivage alimenté par Marine Le Pen, Eric Zemmour et consorts.
Envisager ce qu’est être français
C’est une lumière inouïe qui vient de se répandre sur notre territoire et dans les âmes de nos concitoyens, espérons seulement que cette lumière ne soit pas celle d’un flash mais d’une nouvelle connaissance, de nouvelles espérances, d’un amour de soi enrichi et renouvelé, d’une nouvelle façon d’envisager l’avenir et notre identité, d’envisager ce qu’est être français. Il m’a semblé qu’on avait réappris à s’aimer, depuis mercredi dernier, et qu’on aurait envie désormais d’y goûter sans retenue, de repartir différemment en laissant de côté tous ceux qui endommagent notre pays, lui inoculent le poison de la haine et de la division.
C’est peut-être un doux rêve que celui que j’ai fait, dans la nuit de samedi à samedi, franchissant plusieurs fuseaux horaires au-dessus des nuages, mais peut-être pas après tout. N’était-ce pas un rêve collectif, partagé par des millions d’autres personnes au même moment ? L’après-midi que j’ai passé dimanche dans les parages de la place de la République ne l’a pas démenti en tout cas.
Eric Reinhardt
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