Reportage au cœur d’un centre d’internement pour “fous dangereux” en Belgique. Quand la société moderne ne semble toujours pas pouvoir apporter de solutions autres que l’enfermement.
Considérés comme “fous dangereux”, les détenus que filment Patrick Lemy et Eric d’Agostino pourraient a priori susciter malaises et frissons. Certains ont commis des actes criminels après des bouffées délirantes, d’autres flottent dans un entre-deux opaque, entre apparente normalité et schizophrénie cachée.
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Or, le miracle et le mystère du documentaire La Nef des fous déjouent le piège attendu de la folie stigmatisée en “réhumanisant” des parias, par le simple regard, empathique et compréhensif, que les cinéastes leur confèrent. Filmés au plus près, dans un geste d’écoute et de partage d’une parole reconquise, ces malades mentaux mettent ici à nu, c’est-à-dire en mots, leur étrangeté, séduisante autant qu’inquiétante.
Expérience disciplinaire
“La nef des fous”, explorée en cinéma direct, abrite des psychotiques, réunis dans une annexe psychiatrique de la prison de Forest, en Belgique. L’incarcération de la folie se déploie ainsi dans le cadre d’un espace exclusivement pénitentiaire, dans la mesure où le soin médical reste marginal (quelques médicaments, un psychiatre…).
L’expérience disciplinaire s’écoute autant qu’elle s’observe : comme dans n’importe quelle prison, les bruits lourds des portes en fer qui claquent, les surveillants qui rôdent, rappellent combien l’enfermement est autant un cri dissonant qu’un long silence intérieur.
Parcours de vie chaotiques
Certains de ces “fous” semblent d’une lucidité absolue sur le monde et sur eux-mêmes. Au-delà de leurs propres actes, parfois très graves, tous témoignent avec raison de la déraison dans laquelle ils pourrissent. L’internement, c’est “tuer quelqu’un sans le tuer, c’est se débarrasser des gens dont on ne veut plus”, confie l’un deux. Un autre, après quatorze ans de prison, prêt à être libéré, dit “être guéri, en n’ayant jamais été malade”.
Plutôt que de commenter en surplomb la violence déshumanisante de la prison, mais aussi les parcours de vie chaotiques de ces détenus, marqués par des épreuves personnelles dont procède leur propre folie, Patrick Lemy et Eric d’Agostino filment frontalement le pire de la vie des hommes : l’enfermement comme seul mode de protection de la folie.
Sans livrer de réponse unilatérale, mais en consignant l’inanité du geste disciplinaire, La Nef des fous interroge l’un des plus grands échecs de nos sociétés : comment affronter la violence des fous en protégeant les fous contre eux-mêmes et contre la société où le contrôle s’est substitué au soin.
La Nef des fous documentaire de Patrick Lemy et Eric d’Agostino. Vendredi 11, 23 h 25, Arte
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