Après huit ans de travaux et de polémiques, la Philharmonie a ouvert ses portes ce mercredi, accueillant le gotha politique et culturel. Malgré le succès retentissant de cette inauguration, la salle de concert démarre dans la précipitation après avoir accumulé les fausses notes lors de son édification.
“C’est la culture que les terroristes voulaient atteindre.” François Hollande a inauguré mercredi 14 janvier une Philharmonie… pas tout à fait terminée. Les travaux sont toujours en cours à l’extérieur comme à l’intérieur, et donnent au public cette impression à la fois amusante, et surprenante que le bâtiment a ouvert ses portes dans la précipitation et la confusion. Les journalistes, prévenus, ne se formalisent pas. Le Président, quant à lui, parle d’“un événement comme Paris n’en avait pas connu depuis un quart de siècle”, après l’inauguration de l’Opéra Bastille en 1989.
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Applaudi par un public de 2 400 personnes, François Hollande laisse la place à un concert d’ouverture dédié aux victimes des attaques terroristes, concert aussi majestueux que prévu. Les morceaux de Dutilleux et Fauré ont permis à l’assistance de juger de la qualité d’une acoustique annoncée comme grandiose et subtile – un sacré défi pour une structure édifiée entre le Zénith, le Trabendo et et le périphérique.
Alors, à quoi ressemble cette Philharmonie, censée prendre la relève de la salle Pleyel ? La toute nouvelle salle parisienne dédiée à la musique symphonique est recouverte de 340 000 oiseaux métalliques, peut accueillir jusqu’à 3 600 personnes et propose cette faible distance, intimiste et superbe, de 32 mètres entre les musiciens et les spectateurs les plus éloignés, contre 48 mètres à Pleyel.
Oui mais voilà, pourquoi, après huit ans de travaux, l’immense carcasse d’acier du Parc de La Villette est-elle encore en grande partie inachevée ? Principalement pour des raisons financières.
Le budget de la Philharmonie, un sacré couac
Jean Nouvel, l’architecte du projet, était aux abonnés absents. Deuxième fausse note, après les travaux bien visibles, qui laisse présager de la galère financière qu’a été cette construction. En huit ans d’édification, le budget de la Philharmonie de Paris a beaucoup changé. Financé à part égales par la mairie de Paris et l’Etat, il est d’abord estimé à 170 millions d’euros en 2007, pour finalement atteindre 386 millions d’euros en janvier 2015. A cette facture salée s’ajoute le quasi-avortement du projet, survenu en pleine crise économique en 2010, avant que Nicolas Sarkozy, président de l’époque, ne décide de poursuivre la construction.
A quelques heures du second concert d’ouverture, l’ambiance est toujours houleuse entre les organisateurs de ce projet et Jean Nouvel. Les premiers reprochent au second ses choix architecturaux pharaoniques et couteux, et ont fini, en conséquence, par l’écarter de l’aventure et revoir son projet initial à la baisse. Jean Nouvel a répondu ce jeudi 15 janvier par une tribune dans Le Monde qui justifie son absence. Il évoque une inauguration réalisée “trop tôt, avant que le bâtiment soit achevé” et dénonce, en s’appuyant sur la Cour des comptes, un “pilotage médiocre”, “de nombreux retards liés aux fluctuations des arbitrages publics” et un “coût initial sous-estimé”. Par ailleurs, il pointe des “propos mensongers, diffamatoires ou dénigrants” tenus à son encontre.
Aujourd’hui encore, et sûrement jusqu’au printemps, des ouvriers s’affaireront au milieu des camions, des grues, et d’un public soit indifférent soit amusé par ce chantier en finition. Le belvédère et l’esplanade n’ont toujours pas été aménagés. Précipitation, hâte, nécessité de renflouer les caisses rapidement… Ces raisons ont poussé, hier, un public à assister à une cérémonie imparfaite et tronquée.
Les musiciens et le public, également circonspects
Mais la structure n’est pas le seul élément à être incomplet, la nouvelle acoustique également mérite plus de temps pour être testée, selon Jean Nouvel et les musiciens. Sur France24, Paavo Järvi, directeur de l’Orchestre de Paris, envisage plusieurs mois “d’apprentissage et de voyage dans l’inconnu. […] On vient à peine de découvrir l’endroit que nous avons déjà un pied sur scène.”
Enfin, la Philharmonie risque de dérouter le public habituel de la musique classique par son emplacement et ses choix musicaux. C’est la Salle Pleyel qui accueillait jusque-là le principal auditoire de la « grande musique” de la capitale, souvent issu d’un milieu aisé, en plein cœur du XVIII e arrondissement. Le programme de la Salle Pleyel laisse désormais place aux « musiques actuelles » et se voit interdit de musique classique pour les dix ans à venir au minimum. C’est la Philharmonie qui aura l’exclusivité de ce genre prestigieux joué par des orchestres symphoniques. Le public de la Salle Pleyel s’est inquiété parfois de cette relocalisation inattendue. Le président de la Philharmonie, lui, parle d’ « une main tendue aux banlieues. Laurent Bayle a en effet mis en place des prix bien plus abordables qu’auparavant : un billet d’entrée démarre à 10 euros, soit 20 à 30 % moins cher qu’à Pleyel.
La Philharmonie de Paris ouvre-t-elle le champ à une démocratisation de la musique classique ? “La culture est un trait d’union entre les esprits” rappelait Hollande hier soir. Au-delà de toutes ces querelles, c’est la passion pour la musique qui primera avant tout dans cette nouvelle salle, car elle aura l’avantage d’être éclectique, accueillant tous les genres, du jazz à l’electro et le pop en passant par le rap.
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