Réalisateur discret, il est l’auteur de « La Désintégration », film visionnaire où il raconte l’itinéraire d’un jeune Français en échec qui se fait recruter par des djihadistes pour commettre un attentat.
Quelle a été votre première réaction à l’attentat contre Charlie ?
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Philippe Faucon – Pendant plusieurs heures, un sentiment très douloureux, presque physique. Je lisais déjà le premier Charlie au lycée. Malgré quelques outrances (quelquefois à la limite de l’irresponsabilité) ou quelques moments un peu moins bons, ce journal a continuellement tenu une ligne aujourd’hui de plus en plus rare dans la presse et l’époque : celle de la désacralisation et de l’irrespect, en brocardant tous les pouvoirs, tous les dogmatismes, tous les emprisonnements, toutes les confiscations de la liberté d’être et de penser.
On les a beaucoup accusé d’islamophobie, ce qui est évidemment faux, et c’est méconnaître l’histoire et l’esprit de Charlie que de dire cela, puisque ce journal n’a fait, tout au long de son existence, que rire de toutes les religions, en ce qu’elles portent, du point de vue de ses dessinateurs, de rétrograde, de scléroses à la vie, voire d’hypocrisies. Dans les années 70, c’était bien sûr principalement le christianisme qui subissait les dessins de Charlie, qui dû ensuite partager les « unes » du journal avec les autres croyances présentes en France. Mais surtout, surtout, à Charlie, ce qui a été sans cesse dénoncé, ce sont tous les fanatismes, tous les intégrismes (aussi bien chrétien, juif que musulman), toutes les intolérances religieuses, dans ce qu’elles contiennent comme facteurs de séparation, d’exclusion de l’autre, de celui qui vit différemment, croit à autre chose, ou ne croit pas.
Vous avez réalisé La Désintégration, film visionnaire : êtes-vous surpris qu’un événement de ce genre survienne ?
Je suis, comme tout le monde, je crois, pas tant surpris par la possibilité d’une attaque – il faudrait aujourd’hui s’entêter dans l’aveuglement ou le politiquement correct pour penser que ça relève du fantasme – qu’effaré par le niveau de violence atteint. Mais je suppose que ça fait partie de l’intention : faire peur.
Ayant travaillé sur ce film, possédant une connaissance de terrain des milieux des jeunes en voie de radicalisation, comment expliquez-vous que ces individus basculent dans une telle violence ?
Par la manipulation habile – et qui procède d’une connaissance de très près de ces différents ressentis – des sentiments d’exclusion, de rejet, d’échec, des frustrations diverses, et aussi des besoins de violence, de revanche, que l’on peut rencontrer chez certains. Les processus dont on a témoignage sont assez identiques aux conditionnements sectaires, avec ici la particularité de pouvoir parfois entraîner l’individu très loin dans le passage à l’acte barbare. Peter Neumann, qui dirige à Londres le Centre international pour l’étude de la radicalisation (ICSR), ne croit pas que l’on s’endoctrine seul dans sa chambre, par internet. Il y a forcément approche extérieure – qui se réalise aujourd’hui en effet par le net, par repérages, au moyen de moteurs de recherche, de mots-clefs ou d’intérêt pour tel type de vidéos. Quelles que soient les identités de départ, qu’il s’agisse de personnalités faibles, égarées, ou d’autres présentant telle tendance préalable à la violence ou tel besoin d’accomplissement perverti, le libre arbitre et le raisonnement se dissolvent ensuite dans l’appartenance au groupe sectaire, qui se substitue, par sa logorrhée formatée, à la pensée et à la volonté individuelles, et pousse à ce qui est proposé comme une valorisation nouvelle : le djihad, le combat, dans sa conception la plus fanatique.
La violence est sacralisée, elle est au service de Dieu, de la purification du monde. Par là même, elle est exigée à l’extrême : il faut en être capable, pour démontrer son engagement et frapper d’effroi les adversaires impurs. Ce processus s’opère à travers ce que Dounia Bouzar, Christophe Caupenne et Sulayman Valsan appellent, dans une étude pour le CPDSI (Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam), « la destruction des contours identitaires » de l’individu, réalisée dans une double « stratégie d’effacement à la fois de l’identité et de la culpabilité ». Le nazisme n’est pas fait d’autre chose : quand on parvient à persuader, à mettre dans les esprits, que telle catégorie ne mérite pas de vivre, on peut faire faire n’importe quoi.
Comment lutter contre ce phénomène ?
En lui opposant des valeurs inverses de non exclusion, de non ostracisme, de non rejet de la différence (religieuse, sociale, culturelle, sexuelle), bref, en donnant de la réalité à l’expression « vivre ensemble ». Il ne faut pas oublier que ceux qui prétendent imposer leurs règles folles par la violence, même s’ils parviennent parfois à frapper d’effroi, ne sont malgré tout qu’une poignée, et par là-même, ne peuvent être tout-puissants. En Tunisie, les habitants d’un quartier populaire ont défendu des prostituées contre des islamistes qui voulaient les en chasser, et le pays s’est aperçu que ceux qui pensaient imposer à l’ensemble de la société des conceptions d’un autre âge n’étaient finalement que très minoritaires.
Comment voyez-vous les suites sociales et politiques d’un tel événement en France ?
Nous sommes en effet à un moment où le pire ou son contraire sont possibles. Le pire, ce serait la montée des violences, des replis, des séparations, par les surenchères des extrêmes. Et l’empêchement du pire ne peut se faire qu’en donnant force et réalité au principe qui veut que ce qui est sacré en République, ce ne sont pas les textes religieux, mais l’égalité des droits et des chances, et la liberté de chacun, qui est entière tant qu’elle n’entrave pas celle d’autrui.
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