A la suite de la fusillade dans les locaux de Charlie Hebdo, de nombreux médias étrangers ont refusé de publier des caricatures de Mahomet sur leurs supports. La sociologue Camille Laville, spécialiste des médias et des pratiques journalistiques, analyse le rôle de la caricature dans la presse ainsi que les conséquences des attentats en France sur le métier de journaliste et les risques d’autocensure de la presse.
La caricature a-t-elle une histoire spécifique en France ?
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Camille Laville – La caricature s’inscrit vraiment dans la tradition française, même avant l’apparition des premiers titres de presse. Ceci dit, c’est au moment de la révolution française qu’on a vu arriver les premières caricatures vraiment « politiques ». Des caricatures au sens propre du terme, pas juste des allégories mais avec une dimension ironique, et très critique vis-à-vis du pouvoir. Avec pour cible notamment le pouvoir religieux, puisque c’est évidemment la royauté qui était visée en premier lieu.
Et ensuite ?
Autour de 1890-1900, la caricature est devenue un moyen de communiquer ses opinions politiques, et se placer sur la place publique avec un positionnement, sinon de journaliste, de commentateur de la vie publique et politique.
La frontière entre caricaturiste et journaliste est-elle difficile à définir?
Moi je considère qu’un dessinateur de presse est un journaliste. On sait bien que Plantu a un énorme pouvoir en faisant la une du Monde. Je fais des formations en journalisme, et pour moi il est important que mes étudiants n’associent pas le dessinateur de presse uniquement à un dessinateur.
Comment analysez-vous le fait que certains médias étrangers aient refusé de publier les caricatures de Charlie Hebdo, ou les aient floutées?
Je comprends certains médias comme CNN aient décidé de flouter les caricatures, ils ont dit que c’était parce qu’ils avaient des journalistes partout dans le monde et que c’est une manière de les protéger. Mais évidemment, c’est une position dangereuse car si on y adhère tous, aucune caricature ne serait publiée, et les terroristes auront gagné. Heureusement, on a eu beaucoup de floutage, mais aussi beaucoup de republication des caricatures. Au Québec, il y a 12 journaux qui ont publié les caricatures au lendemain de l’attaque.
Vous pensez que les médias risquent l’autocensure ?
Il ne faut pas céder à la peur. Mais en même temps, on ne va pas demander à des journaux de publier des caricatures qu’ils n’auraient pas cautionnées [avant la fusillade] dans leur média. Cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas les publier, si on estime que c’est un symbole de liberté que de pouvoir le faire.
Qu’est-ce que ces attentats ont changé pour le journalisme ?
On a eu tendance à oublier que la liberté d’expression n’est pas acquise. J’ai une étudiante de 21 ans qui vient de publier un édito sur Charlie, et la première chose qu’elle m’a dit c’est « je pensais que si je n’étais pas journaliste de guerre, je ne prenais pas de risque« . Ça a créé un ébranlement. Il y a une vraie conscience de ce que c’est, que d’être journaliste.
Vos étudiants n’avaient pas conscience de ça ?
Pour les étudiants en école de journalisme français, c’était complètement improbable qu’on prenne un quelconque risque en étant journaliste. « Le quatrième pouvoir », « l’opposition », c’était des notions qu’on enseignait dans les cours, mais pour eux, c’était surtout un discours. Alors que pour les étudiants à Beyrouth ou au Caire, où j’ai enseigné, c’était une évidence. Ça s’incarnait par exemple à travers la révolution tunisienne.
Quel avenir pour le dessin de presse en France ?
Je ne pense pas qu’à la caricature, mais le dessin en général est en train de revenir. Avec le backpack journalism [journalisme de voyage qui demande beaucoup de photos, de vidéos, ndlr] par exemple. Le dessin de presse se fait peut-être moins ironique mais tout aussi critique. Il y a une intégration du dessin dans la pratique journalistique. Je pense que ces événements vont replacer le rôle du caricaturiste au coeur de la profession journalistique.
Pourquoi cette baisse du nombre de titres de presse satiriques en France?
La presse satirique, qui est une presse de niche, a aussi souffert de la baisse des ventes de la presse payante en général. Je pense que ce n’est pas que le positionnement, c’est aussi le support qui est problématique. D’ailleurs pendant cette conférence de rédaction à Charlie Hebdo, ils réfléchissaient à faire une version web.
Comment peuvent évoluer les médias papiers à présent ?
Ces derniers jours, les Français n’ont pas acheté que Charlie Hebdo, ils ont aussi acheté les journaux. Le fait que tous ces gens soient partis acheter Libé, le Figaro, le Monde, et qu’on voie les kiosques vides, c’est très positif. En France et dans d’autres sociétés, on n’achète plus le journal, il y a une crise de la presse écrite, et il n’y pas de modèle économique valable sur le Web. On avait l’impression que l’information n’avait plus de prix. Aujourd’hui, les gens réalisent que même s’il y a de l’information gratuite, à un moment donné, acheter un média c’est le soutenir, et soutenir un positionnement critique.
Propos recueillis par Marie Turcan
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