À quoi servait le costume à Hollywood ? Souvent, en temps de censure, à dire le sexe. Visite aux entrepôts de la Cinémathèque à Aubervilliers et à l’exposition londonienne.
On déambule dans les couloirs du Victoria and Albert Museum, à Londres, comme dans un château hanté. Les costumes des films mythiques d’Hollywood étaient taillés sur mesure sur le corps des stars, épousant leurs courbes, et les découvrir ainsi tenir debout devant nous dans cette belle exposition, c’est comme voir se réincarner le corps de celle qui, un jour, les habita. La robe en rideau de velours vert portée par Vivien Leigh dans Autant en emporte le vent, l’ensemble au millier de pierreries de Marlene Dietrich dans Angel, la légendaire robe noire signée Givenchy pour Audrey Hepburn dans Diamants sur canapé, le tailleur vert de Tippi Hedren dans Les Oiseaux restituent autant de corps revenus d’entre les limbes, mais décapités… jusqu’à la dernière salle de l’exposition où trône, pièce maîtresse, la robe blanche que portait Marilyn Monroe dans Sept ans de réflexion, celle qui s’envole sur une grille de métro le temps d’une scène iconique et qui, vu la finesse de son tour de taille, témoigne de la réelle minceur d’une star dite pourtant “plantureuse”.
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À elle seule, cette robe pourrait raconter les aventures du costume hollywoodien : achetée aux enchères par l’actrice Debbie Reynolds (Chantons sous la pluie) dans les années 70, puis remise en vente en juin 2011 – l’actrice constatant, après des années de bataille, qu’elle ne pourrait décidément pas ouvrir le musée du costume dont elle avait rêvé –, la robe a atteint le chiffre record de 5,52 millions de dollars. L’acheteur tient à son anonymat, mais il pourrait bien s’agir d’un riche habitant des Émirats arabes unis. Les trois commissaires de l’exposition, dont Deborah Nadoolman Landis, qui fut elle-même costumière, auront dû faire preuve de beaucoup de ténacité et d’habileté pour le convaincre de leur prêter cette robe. Il leur aura fallu d’ailleurs plus de cinq ans pour rassembler cette impressionnante collection – les costumes n’étant conservés par les studios que depuis des temps récents, la majorité d’entre eux proviennent de collections privées éparpillées dans le monde. C’est ainsi qu’ils ont retrouvé, après une longue traque, les souliers en sequins rouges de Judy Garland (Le Magicien d’Oz) dans le coffre d’une banque à Londres.
Si ces costumes, patrimoines du rêve hollywoodien, existent encore, c’est en grande partie grâce à ces collectionneurs chevronnés, telle Debbie Reynolds, qui emprunta beaucoup pour acheter nombre de pièces lors de la première vente aux enchères importante, organisée par la MGM en 1970. Les studios avaient pour habitude de retailler indéfiniment les costumes pour les amortir le temps de plusieurs films, histoire de faire des économies. Toujours dans les années 70, un groupe de jeunes employés des studios à les voler pour mieux les conserver. C’est à eux aussi, devenus pour certains collectionneurs, qu’on doit la survie de certains costumes. Dans les années 20, en plein âge d’or hollywoodien, Cecil B. DeMille est le premier à comprendre de quelle aura glamour le costume pourrait nimber le cinéma : il exige alors des tenues sublimes, “telles que les spectateurs ne peuvent en trouver en boutiques”.
Certes synonyme de luxe inaccessible, donc de rêve, le costume, dans la narration cinématographique, rime avant tout avec “sexe”. Les studios vont d’abord se rebeller contre la mode des années 20 – robes droites qui effacent les formes féminines – et la faire fléchir en inventant celle des années 30, soit en réintégrant du sex-appeal à l’écran à coups de vêtements qui soulignent les attributs d’une femme : seins, taille, hanches. Un jeune couturier, Adrian, est engagé, qui inventera le look Mae West : robe de satin blanc coupée en biais, révélant tout de son anatomie. Adrian, devenu l’un des designers stars d’Hollywood aux côtés de Travis Banton et Edith Head, influencera même les couturiers parisiens en un temps où Hollywood faisait et défaisait les modes. Ces couturiers français prendront aussi, parfois, leur revanche.
Si Chanel échoue à Hollywood, car la sobriété de ses petites robes noires fait “pauvre” à l’écran, Givenchy la vengera en volant la vedette à Edith Head sur le tournage de Sabrina de Billy Wilder. Wilder avait été à l’école Lubitsch, et avait appris en écrivant le scénario de Ninotchka pour le Maître que le cinéma, c’est avant tout exprimer par l’image ce qui échappe au scénario : tout un art du détail et de l’apparence. Quand il s’agira de montrer que la Soviétique Ninotchka (Garbo) trahit ses valeurs communistes pour la “frivolité” de l’Ouest, Lubitsch la mettra en scène se coiffant du chapeau (en forme d’entonnoir) qu’elle avait d’abord jugé “décadent” en le découvrant dans une vitrine parisienne. Quand Wilder, qui travaille, comme tous les cinéastes de ce temps, avec la censure sur le dos, décide que Sabrina, la jeune oie blanche fille de chauffeur, reviendra de son séjour parisien forte d’y avoir été déniaisée, il choisira d’incarner la nouvelle maturité sexuelle de son héroïne non pas frontalement, mais via sa nouvelle garde-robe, forcément créée par un couturier parisien. Et d’envoyer illico Hepburn faire son shopping à Paris : le jeune Givenchy la renvoie d’abord, déçu qu’il ne s’agisse pas de l’autre Hepburn, Katharine, puis la laisse puiser dans sa précédente collection. Ainsi naît la collaboration mythique entre Givenchy et Hepburn, ce qu’Edith Head ne pardonna pas.
Mais Head est devenue, de tous les designers des studios, une icône elle-même, en partie grâce à son étroite collaboration avec Alfred Hitchcock (un autre maître du détail) sur onze films, entre 1946 et 1976 :
“À moins qu’il y ait une bonne raison narrative d’utiliser une couleur, nous préférons les couleurs neutres, car Hitchcock pense qu’elles pourraient détourner l’attention d’une scène d’action importante. Il se sert de la couleur comme un peintre, préférant des verts pâles et des couleurs douces pour exprimer certaines humeurs.”
Plusieurs costumes exposés au Victoria and Albert Museum proviennent de la Cinémathèque française, qui détient l’une des plus importantes collections grâce à son fondateur Henri Langlois, qui allait lui-même les racheter aux studios. Chaque costume est méthodiquement rangé dans de grandes boîtes en carton brun, elles-mêmes entreposées sur des étagères de métal comme des cadavres dans une morgue : chaque vêtement est soigneusement plié dans un papier fabriqué spécialement, aussi léger qu’un linceul blanc. Charlyne Carrère, à la tête du département costumes de la Cinémathèque française, nous reçoit dans le vaste entrepôt d’Aubervilliers où ils sont stockés. Une robe noire signée Adrian pour Garbo le temps d’une soirée MGM y côtoie une robe d’Autant en emporte le vent, une robe Lanvin orpheline (on n’a pas encore retrouvé le film où elle apparaît), la cape de L’Atlantide de Jacques Feyder, les costumes de Huit femmes de François Ozon ou encore les sublimes robes créées par Chanel pour Delphine Seyrig dans L’Année dernière à Marienbad. Charlyne Carrère remarque que les costumes d’hier étaient mieux confectionnés que ceux d’aujourd’hui, et à voir défiler toutes ces pièces taillées sur mesure, cousues et brodées à la main pendant, parfois, des semaines, on se croirait dans un défilé de haute couture vintage. Un drame arrive alors : en nous montrant le manteau brodé que porte Joan Crawford dans Femmes de Cukor, la conservatrice s’aperçoit qu’une perle s’en est détachée.
Gants blancs et pinces, la jeune femme saisit délicatement la perle, la place dans un petit sachet de plastique qu’elle étiquette immédiatement en vue d’une réparation future – le tout à la façon d’un policier sur le lieu d’un crime. On quitte Aubervilliers en rangeant le manteau, comme les autres vêtements, dans sa boîte cartonnée : il passera la nuit dans le noir de ce grand hangar froid. Vestige d’une vie rêvée sur Celluloïd, relique d’un corps qui l’a porté et qui n’est plus, le costume est aussi ce qui nous dit : “Nous sommes morts et vous êtes vivants”.
Hollywood Costume jusqu’au 27 janvier au Victoria and Albert Museum, Londres, www.vam.ac.uk
Article paru dans le numéro 889 des Inrockuptibles disponible en kiosque et en ligne ici
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