Le dessinateur Jean-Christophe Chauzy, « effondré » par la disparition de ses camarades de « Charlie Hebdo » – dont certains étaient des amis –, réagit à l’attentat.
Comment avez-vous appris qu’un attentat avait eu lieu à Charlie Hebdo ?
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Jean-Christophe Chauzy – Je bossais dans l’atelier, ma copine qui est également auteure de BD m’a appelé vers midi pour me dire que ça venait d’arriver. Je me suis branché sur France Info et j’ai suivi les nouvelles en m’abattant à chaque heure un peu plus. Des noms de gens que je connais et que tout le monde aime dans la profession ont commencé à tomber.
Nous sommes touchés parce que nous avons discuté longtemps avec Cabu, je connaissais personnellement Charb et Tignous… Mais au-delà, cet événement a une portée énorme, historique. On a du mal à réaliser l’énormité de ce qui s’est passé. Ils ont tué des gens innocents et importants à la fois, qui n’ont jamais fait de mal à personne, des gens qui aimaient la vie. Ils nous ont fait perdre des gens irremplaçables.
Ces dessinateurs ont-ils compté dans votre parcours personnel ?
Oui. J’ai rencontré Cabu pour la première fois quand j’avais quatorze ans. J’aimais la BD et je suis passé dans un festival de BD à Toulouse. Cabu y était et il a eu la gentillesse de faire une caricature de moi, alors que je n’avais pas de fric et que je ne lui ai acheté aucun livre. Ensuite j’ai frayé avec lui, je suis très proche de l’état d’esprit et des positions défendues par Charlie. Ce sont des gens avec qui on se retrouvait : Charb était à Fluide glacial où j’ai travaillé, j’ai sympathisé avec Tignous également. Ce sont des gens qui nous défendaient. Ils défendaient des positions pour lesquelles ils sont morts, et que peu de gens défendent en temps ordinaire. Ils sont morts parce qu’ils ne croyaient pas en Dieu et qu’ils ont rigolé, ce qui est quand même extraordinaire. Leur disparition m’affecte à titre individuel, mais elle a une importance citoyenne et politique de premier ordre.
En raison de ce qu’ils représentent pour la liberté d’expression ?
Oui, mais c’est un thème un peu galvaudé : tout le monde s’en réclame, y compris ceux qui ont tapé sur Charlie et qui ont été les premiers à leur balancer une poursuite sur la gueule ces dernières années. Quand on entend les cloches de Notre-Dame sonner alors que des bataillons de crétins leur ont balancé des procès, c’est tout de même assez ironique non ? Eux revendiquaient la liberté d’expression au sens noble du terme, ils le faisaient avec la légèreté du rire.
Pour la plupart des gens dont je suis proche en bande dessinée ces gars-là étaient des aigles. Les auteurs de bande dessinée ont besoin de place pour raconter des choses, ils prennent leur temps, alors que les dessinateurs de presse disent le plus de choses avec le moins d’efforts possibles. Ils ont tué les meilleurs d’entre eux, ceux qui avaient à la fois l’élégance et le mordant, qui n’étaient jamais cul-cul. Professionnellement c’était des seigneurs, et ils vont manquer à tout le monde : non seulement à ceux qui étaient de leur côté et qui se reconnaissaient en eux, dont je fais partie, mais à des gens de tous les bords. En tapant sur tout le monde, ils étaient les plus à même de défendre l’humanité.
Leur disparition nous laisse tous dans un désarroi total, car un crétin armé sans cervelle peut décapiter des gens intelligents, cultivés, créatifs, qui font honneur à l’humanité. D’une certaine manière les terroristes ont gagné parce qu’ils nous ont fait perdre des lumières, des gens précieux, irremplaçables.
Charlie Hebdo peut-il leur survivre ?
Je ne sais pas. Il serait assez légitime que Siné Hebdo relance un pont avec Charlie. C’est le même lignage, c’est la même famille initiale… Ce serait légitime que ceux de Siné qui le souhaitent puissent le faire. J’espère en tout cas qu’ils vont survivre, même si personne n’est au niveau de ceux qui sont morts. J’ai entendu Geluck l’autre jour, il était clair, droit, et peut être que lui pourrait contribuer, mais tout le monde ne peut pas le faire. Je leur souhaite de trouver les talents qui auront la même agressivité, le même mordant, la même détermination joyeuse, on sera là pour s’abonner et acheter le canard. J’espère qu’à notre échelle et dans nos média respectifs on défendra la même éthique, c’est-à-dire celle qui consiste à ne pas transiger sur ce qu’on pense et sur tous ces connards de donneurs de leçons qui nous emmerdent à longueur d’année.
Vous sera-t-il plus difficile de dessiner maintenant ?
Hier j’ai chialé toute la journée, j’étais incapable de tenir un crayon, je ne sais pas comment les rescapés vont sortir le prochain numéro. Il faut avoir une certaine sérénité, les yeux en face des trous et les idées en place pour dessiner. Je leur souhaite tout le meilleur mais ça ne va pas être simple.
Que pensez vous la décision d’exclure le FN de la marche républicaine de dimanche ?
Je n’ai aucune sympathie pour le FN mais je n’ai pas tellement de sympathie non plus pour les autres partis qui récupèrent l’affaire, et qui ont fait des leçons de morale à Charlie pendant son existence en lui reprochant de moquer le prophète. Tous les Tartuffe sont là, sur les plateaux télévisés, et ce sont eux qui « invitent » à participer à ce rassemblement. Je ne leur donne pas beaucoup plus de crédit qu’au FN dans cette affaire.
Vous pensez que les partis politiques ne devraient pas intervenir ?
En tout cas on aimerait qu’ils se fassent discrets. Je suis content que beaucoup de monde participe aux manif’, pour que l’on sache que ces petits gars dans leur petit local avaient une importance nationale. Mais il n’y a aucune invitation à donner : c’est à la société civile de s’organiser comme elle l’a fait à République le premier soir.
Propos recueillis par Mathieu Dejean
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