Des mariachis balkaniques : la fanfare de Denver au sommet
de l’absurde.
D’habitude, le rock rêve de l’Est vers l’Ouest. Mais Beirut, Alaska In Winter,
Gogol Bordello ou Devotchka ont découvert que l’autoroute était à double sens et se disputent aujourd’hui le titre de meilleur groupe de rock américain des Balkans. Avec finesse et érudition dans le cas de Beirut ou d’Alaska In Winter ; nettement plus dans l’hystérie et l’outrance à la Kusturica chez les New-Yorkais Gogol Bordello, authentiques émigrés russes ou ukrainiens. Mais dans le cas de Devotchka, la recette ne se limite pas aux caricatures de goulasch
et autres baklavas. Si de folklore il s’agit ici, ce serait un folklore mondial, absurdement compressé dans des chansons urgentes et agitées, qui parlent grec, s’énervent en sicilien, hurlent en mexicain, boudent en russe et jurent comme un cow-boy. Ainsi va la cuisine américaine, vaste jumbalaya des restes du monde, que Devotchka sert épicée mais sans grumeaux, avec un amour sincère pour chaque produit convoqué dans son faitout. Le groupe de Denver, sorti de l’anonymat par sa BO de Little Miss Sunshine, affine même sa science très débonnaire du dosage sur ce cinquième album, osant au sein d’un même morceau quelques prodigieux sauts de puce, qui le font passer d’un honky-tonk douteux des Rocheuses à un bouge pour tord-boyaux de Smederevo, d’un garage punk de Guadalajara à un club huppé du Lower East Side (le groupe reprend aussi bien Sinatra que le Velvet…). C’est justement cette fantaisie, cette indépendance et cette insolence face aux règlements précis et peine-à-jouir de la fusion qui rendent si attachante cette divagation, qui invente un curieux trait d’union entre Beirut et Manu Chao, Calexico et Arno. Une chanson s’appelle New World – il est grand, cabossé, rigolard, mélancolique, absurde et sans frontières.
En dix chansons, le moyen le plus rapide de visiter l’Empire ottoman et de découvrir les Amériques, voire la Lune.