Le bilan 100% spoilers du pénultième épisode de la géniale « True Detective ».
« We left something undone, we have to fix it » (« Nous avons laissé quelque chose inachevé, à nous de réparer l’erreur »). Rust Cohle murmure ces mots dans la moiteur et les relents de bière d’un bar de Louisiane, où, dix ans après leur baston sur le parking du poste de police, son partenaire Marty et lui reprennent langue. L’inachevé dont il parle n’a plus la même signification bizarre qu’on aurait pu lui coller quelques épisodes auparavant, lorsque le personnage joué par le néo-oscarisé Matthew McConaughey balançait un minimum de trois tirades philosophiques par quart d’heure. Cet inachevé n’est pas métaphorique, mais concret. Il sonne comme une invitation, une main tendue de partenaire à partenaire : nous avons commencé à enquêter ensemble, nous étions jeunes et déjà tristes, continuons à nous cogner la tête sur l’horreur du monde.
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Dans cette série faite de décalages, de contretemps, de flashbacks et de flashforwards, il aura fallu attendre le septième épisode pour voir Rust Cohle et Marty Hart enfin synchrones – disons, aussi synchrones que possibles. Ils sont désormais capables d’écouter un morceau de musique ensemble, c’est déjà beaucoup. Ils sont surtout plus efficaces que jamais en tant que duo, même si aucun des deux ne porte aujourd’hui l’uniforme de flic. Nous sommes en 2012. Cohle avait été viré à l’épisode précédent pour avoir continué à enquêter sans l’aval de ses supérieurs. Nous apprenons que Marty Hart a jeté l’éponge quelques années après lui, KO debout suite à une horrible affaire de bébé cramé au micro ondes. Il lui en coûte de se remettre en selle pour enquêter sur les meurtres et disparitions qui les avaient hantés et que Cohle n’a jamais oubliés. A propos de selle, d’ailleurs, True Detective a désormais tout d’un western tardif. Et ce n’est pas seulement parce que Marty mate des films avec cowboys et indiens tout seul chez lui. Quelque chose d’une mythologie de la solitude enserre les deux héros condamnés à arpenter un territoire qui leur veut globalement du mal, où plus rien n’est à conquérir. Il leur reste éventuellement des cadavres à déterrer et surtout un monstre à menotter.
A première vue, cet épisode intitulé After you’ve Gone remet la série sur les rails de la normalité, avec un récit à enjeu unique et (relativement) linéaire. C’est une enquête assez classique qui se déploie, Cohle et Hart soupçonnant le cousin du défunt révérend Billy Lee Tuttle, désormais sénateur, de couvrir des agissements à base de rituels pédophiles. Un complot, donc. Le visionnage d’une vidéo affreuse et une visite à une vieille dame atteinte de démence le confirment, les compères ne cherchent pas un monstre à une tête, mais à plusieurs. Une figure se détache – mais ça, nous le savions déjà -, celle d’un homme dont le bas du visage est strié de cicatrices. C’est sans doute lui que nous croisons dans la dernière scène, ricanant sur sa tondeuse à gazon comme un méchant de cirque.
Il semble donc que True Detective se dirige vers une résolution qui innocente ses deux personnages principaux (ils ne sont probablement pas les tueurs) à moins d’un rebondissement digne d’un soap. Comme dans la plupart des mystères intenses, les réponses apportées pourraient nous faire regretter le bon vieux temps où les possibilités offertes par la narration semblaient infinies, avec autant de pistes possibles que de scènes.
Mais il serait dommage de décréter True Detective moins intéressante parce qu’elle devient subitement déchiffrable. Cet épisode faussement banal sur l’amitié entre deux mecs qui ne voulaient plus se voir le démontre, les circonvolutions temporelles mise en place par Nic Pizzolatto depuis le début n’ont pas servi à rien. Si elles se voient moins aujourd’hui, ce n’est pas seulement parce qu’elles sont plus rares, mais aussi parce que personnages et spectateurs ont fini par épouser le rythme de la série, le sens du destin qu’elle a su faire exister. L’enquête reste un prétexte pour regarder comment ces hommes changent ou ne changent pas. Passé et présent forment une matière malléable où tout interfère. Désormais, chaque geste de Rust et Hart vient de loin et sa portée est encore inconnue. Pour la première fois, une forte émotion nait du spectacle de ces deux hommes en plein dénuement. Ce que d’autres séries mettent plusieurs années à construire, True Detective l’a réussi en quelques épisodes. Il en reste un seul. Préparons-nous.
Olivier Joyard
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