Et si Pierre Boulez, à vouloir toujours enregistrer les mêmes œuvres, était atteint du fameux “syndrome Karajan” ? Classique Pierre Boulez serait-il atteint du fameux “syndrome Karajan” ? Bien connu des spécialistes, le “syndrome K” consiste principalement à vouloir enregistrer toujours les mêmes œuvres. C’est une forme de fixation très étrange, assez répandue chez les […]
Et si Pierre Boulez, à vouloir toujours enregistrer les mêmes œuvres, était atteint du fameux « syndrome Karajan » ?
Classique Pierre Boulez serait-il atteint du fameux « syndrome Karajan » ? Bien connu des spécialistes, le « syndrome K » consiste principalement à vouloir enregistrer toujours les mêmes œuvres. C’est une forme de fixation très étrange, assez répandue chez les sujets âgés, qui s’accompagne souvent d’un net relâchement de style et d’une certaine forme de lassitude chez le discophile. Le cas qui nous occupe aujourd’hui présente un certain nombre de symptômes alarmants qui, sans permettre un diagnostic définitif, laissent cependant planer quelques inquiétudes. On pourrait sommairement décrire ces indices de la manière suivante : 1) manie, donc, de réenregistrer systématiquement tout ce qu’on a déjà enregistré auparavant Stravinski, Debussy ou, dans le cas présent, Bartók et Webern ; 2) tendance à se laisser aller à une forme d’embonpoint stylistique : recherche du beau son, hédonisme, voire vacuité ; 3) choix d’un label « karajanien » par excellence : Deutsche Grammophon, avec qui le sujet Boulez a signé un contrat de longue durée ; 3 bis) volonté de tirer profit au maximum des techniques sonores mises au point par ledit label, au point d’y adapter parfois son propre style de direction. Les observateurs sont par exemple soucieux de noter, dans les deuxième et troisième mouvements de la Musique pour cordes de Bartók, une espèce d’apathie rythmique très étonnante de la part d’un chef unanimement salué pour sa vigueur et sa précision rythmiques.
L’exposé de ces troubles doit cependant être tempéré par l’observation de signes encourageants, qui permettent de penser que le sujet n’est pas atteint de karajanite aiguë, mais seulement superficielle. Si, dans le cas de M. von Karajan, le ressassement pouvait se traduire chez l’auditeur par un mélange d’agacement et de torpeur, il est compensé chez M. Boulez par une série de qualités indéniables. Sa compréhension des œuvres est parfois stupéfiante. Sa science orchestrale aussi. Le dénommé Boulez réussit des mariages de timbres subtils auxquels ni Karajan ni personne d’autre n’ont jamais pu atteindre. La combinaison piano-harpe-célesta de l’adagio est parfaitement rendue. La Philharmonie de Berlin (l’orchestre même de Karajan) retrouve avec lui dans Webern ses véritables lettres de noblesse : éclat, fondant, souplesse. La Passacaille op. 1 en particulier sonne admirablement l’une des plus belles versions de la discographie. Im Sommerwind est d’une onctueuse générosité. Il est, à ce propos, encourageant de noter que M. Boulez a systématiquement inclus dans son disque Webern des pièces qu’il avait négligées ou balayées dans sa précédente intégrale, par purisme sans doute (Im Sommerwind, Danses allemandes, Ricercata) : ce qui dénote chez lui une louable ouverture d’esprit. Ainsi, tout en réservant notre jugement, nous permettrons-nous de voir en ces deux disques un mélange très rare et très passionnant de génie orchestral et de laisser-aller et de les recommander comme tels.
Bela Bartók, Le Mandarin merveilleux, Musique pour cordes, percussion et célesta, Orchestre symphonique de Chicago (CD Deutsche Grammophon) Anton Webern, Passacaille op. 1, Cinq mouvements op. 5, Six pièces op. 6, Im Sommerwind, Ricercata (Bach/Webern), Danses allemandes (Schubert/Webern), Orchestre philharmonique de Berlin (CD Deutsche Grammophon) .