Bertrand Dutheil de La Rochère, conseiller de Marine Le Pen, déplore dans un communiqué la décision du maire (UMP) de Villejuif de rebaptiser le parvis Georges Marchais.
La mémoire de Georges Marchais en prend pour son grade depuis que le maire (UMP) de Villejuif a décidé le 17 décembre dernier d’effacer son nom d’une place de la commune – communiste depuis 69 ans -, rebaptisée Georges Mathé, du nom d’un résistant gaulliste et cancérologue célèbre. Cette mesure a suscité l’ire de la famille du dirigeant communiste historique, député pendant vingt-quatre ans de la circonscription de Villejuif, et de militants communistes qui ont manifesté le 22 décembre sur le lieu rebaptisé.
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Comme si cette attaque à sa mémoire ne suffisait pas, un soutien inopiné s’est rallié à la fronde : celui de Bertrand Dutheil de La Rochère, conseiller “République-Laïcité” de Marine Le Pen, et président de “Patrie et Citoyenneté” au sein du Rassemblement Bleu Marine. Dans un communiqué publié le 1er janvier 2015, celui-ci prend la défense de Georges Marchais, arguant d’abord du fait que, compte tenu du mandat de député qui l’a lié pendant vingt-quatre ans à cette circonscription, “il n’est pas anormal que sa mémoire y soit honorée”. En conclusion, le conseiller va cependant plus loin et affirme :
“En son temps, Georges Marchais a toujours défendu le ‘produire français’. Il a aussi dénoncé, dès la fin des années 1970, les conséquences de l’immigration de masse sur les salaires et la protection sociale. »
Récupérer les thèmes et les valeurs de gauche
Cette tentative de récupération ne surprend qu’à moitié de la part du FN, pourtant à l’origine viscéralement anticommuniste. Le parti d’extrême droite s’était par exemple illustré aux européennes de 2009 en publiant une affiche de propagande selon laquelle “Jaurès aurait voté FN”.
Ce ralliement posthume à Georges Marchais est donc d’une certaine manière cohérent avec une politique éprouvée par le FN depuis quelques années déjà : “C’est une stratégie ambitieuse qui consiste à récupérer des thèmes et des valeurs de gauche pour dire que seul le Front national est capable de les défendre aujourd’hui”, résume l’historien du communisme Roger Martelli, auteur de Le Rouge et le bleu : essai sur le communisme dans l’histoire française (éd. de l’Atelier, 1995).
De fait c’est ce qu’affirme Bertrand Dutheil de La Rochère dans son communiqué en prétendant assurer “une nécessaire continuité entre la gauche patriote de jadis et le combat actuel contre l’européisme et le mondialisme ultra libéral”. Cette opération qui consiste à brouiller le clivage gauche/droite n’est pas étrangère au profil de transfuge de ce conseiller : militant à l’Union des étudiants communistes (UEC) dans sa jeunesse, ancien proche de Jean-Pierre Chevènement et ex-secrétaire national à la communication du MRC (Mouvement républicain et citoyen), il a rejoint Marine Le Pen en 2011, servant ainsi sa stratégie de dédiabolisation.
« La réponse du PCF à l’amorce du repli industriel »
Le parallèle qu’il établit entre les positions de Georges Marchais et celles défendues aujourd’hui par le FN souffre cependant d’un “défaut de cohérence” selon Roger Martelli. D’une part, le “produire français” défendu par Georges Marchais à la fin des années 1970 s’inscrit dans l’histoire longue du PCF, et ne signifie pas un alignement anachronique avec les thèses du FN sur la « préférence nationale » :
“Cela fait partie d’une tradition qui est née en 1934 et qui a consisté pour le PCF au moment où il s’est engagé dans le Front populaire à reprendre à son compte la thématique républicaine et nationale, jacobine et sans-culotte. Il s’agissait de ‘marier la drapeau rouge du communisme et le drapeau tricolore de la grande Révolution de 1789-1793’”, explique l’historien.
A l’occasion des élections européennes de 1979, à une époque où le PCF est encore radicalement hostile à la construction européenne, il tient donc le discours du “produire français” dans la continuité de cette tradition selon laquelle “la France doit rester une puissance indépendante et ne peut donc pas se priver de son patrimoine industriel”. “C’était la réponse du PCF à l’amorce de repli industriel qui s’était manifesté autour de la question de la sidérurgie”, résume Roger Martelli.
Georges Marchais a-t-il d’autre part “dénoncé les conséquences de l’immigration de masse”, comme le prétend ce conseiller FN ? Cette affirmation repose sur deux événements polémiques qui ont entaché l’image du PCF au début des années 1980 : l’affaire dite du “bulldozer de Vitry”, et celle de Montigny-lès-Cormeilles.
Le PCF, l’immigration, et le bulldozer
En décembre 1980, le maire communiste de Vitry avait fait détruire au bulldozer un foyer vétuste occupé par 300 travailleurs maliens refoulés par le maire giscardien de la commune de Saint-Maur.
Dans une lettre ouverte publiée à la suite de cet événement dans L’Humanité, Georges Marchais justifiait cette décision et affirmait notamment :
“La présence en France de près de quatre millions et demi de travailleurs immigrés et de membres de leurs familles, la poursuite de l’immigration posent aujourd’hui de graves problèmes. Il faut les regarder en face et prendre rapidement les mesures indispensables. Ce qui nous guide, c’est la communauté d’intérêts, la solidarité des travailleurs français et des travailleurs immigrés. Tout le contraire de la haine et de la rupture. »
Selon Roger Martelli, la direction du PCF n’est alors pas animée d’arrières-pensées racistes : “Le PC à cette époque est un des premiers partis à prendre conscience des effets de la crise urbaine et notamment des risques de constitution de poches de pauvreté liées à la présence de populations immigrées, il a l’intuition du risque de ghettoïsation de l’espace banlieusard. Mais faute de traiter le problème globalement, il donne l’image du bulldozer, c’est-à-dire d’une violence et d’une injustice inacceptables. »
Quelques semaines plus tard le maire communiste de Montigny-lès-Cormeilles Robert Hue, futur dirigeant du PC, encourage des militants communistes à manifester contre une famille suspectée de trafic de drogue. Georges Marchais prononce alors un discours pour soutenir sa démarche, affirmant “poser le problème de l’immigration”.
“Cela avait suscité de l’émotion, quelques semaines après le bulldozer on y avait vu une cohérence anti-immigrés, et c’est ce qui était apparu aux yeux de l’opinion, relate Roger Martelli. Cela témoignait à la fois de la conscience d’un problème social réel, et d’une manière de le traiter qui prêtait pour le moins à discussion, voire à polémique. »
Alors que le FN venait de réaliser une percée électorale lors des européennes de 1979 (avec 10,95% des suffrages contre 11,2% pour le PCF), le PCF semble avoir été tenté par le thème de la lutte contre l’immigration, comme en témoigne Pierre Juquin, ancien responsable de la propagande du parti, interrogé dans Histoire du Front national de Dominique Albertini (éd. Tallandier, 2013) :
« Une partie du monde ouvrier était tenté par les idées du FN. Le parti communiste sentait son déclin électoral et essayait de le conjurer par tous les moyens. C’est le moment où Marchais a tenté de réorienter le parti vers la lutte contre l’immigration, en tenant des propos qui frisaient avec la xénophobie ».
De là à rapprocher l’attitude du PCF de l’époque de celle du FN aujourd’hui, un gouffre demeure. Ce serait tomber dans le piège des provocations dont le FN a fait sa marque de fabrique. En novembre 2013, en visite à Champigny, Jean-Marie Le Pen déclarait déjà : “Tout n’est pas mauvais chez Georges Marchais. S’il était encore vivant, il voterait peut-être Front national”…
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