À l’écart des circuits touristiques, d’anciens sans-abri racontent la capitale allemande comme ils l’ont vécue lorsqu’ils étaient à la rue. Ces guides atypiques reviennent sur les lieux qu’ils hantaient autrefois.
C’est sur le parvis de Bahnhof Zoo que commence la visite guidée de Dieter. La gare berlinoise dont le nom reste indissociable de celui de Christiane F., qui y a perdu sa jeunesse à coups d’aiguilles percées dans les années 1970. La gare où lui-même a débarqué par une froide journée d’octobre 2012 et où il a fait la connaissance de ceux qui allaient devenir ses compagnons d’infortune:
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
« Je suis allé voir les SDF qui étaient dans la gare et je leur ai dit: «Les gars, je ne sais pas où je suis, je ne sais pas quoi faire. Je n’ai rien à manger, rien à boire, qu’est-ce que je peux faire ?» Ils m’ont dit de m’asseoir et en moins de deux minutes j’avais de quoi manger et de quoi boire sur les genoux », raconte Dieter, 45 ans, de grands yeux mélancoliques et la moitié du visage mangée par une barbe fournie.
Un sac de couchage, un tapis de sol et une tente
Pour cet ancien ouvrier de voirie à la santé fragile qui vivait de l’aide sociale depuis des années, il a suffit de peu pour que sa vie bascule: le propriétaire de l’appartement qu’il occupait dans une petite ville de province a décidé de reprendre le logement pour son propre usage. N’ayant nulle part où aller, aucun proche à qui demander de l’aide, Dieter a pris la route, à pied d’abord, puis en stop, jusqu’à échouer à Berlin: « J’ai emporté le nécessaire avec moi et j’ai acheté un sac de couchage, un tapis de sol et une tente », explique-t-il sans pathos au groupe venu écouter son histoire sous la bruine d’un dimanche de novembre. Quelques touristes, mais surtout des Berlinois à qui l’ancien sans-abri montre l’envers d’un décor urbain conçu pour être traversé, pas pour y rester.
Du quartier de Charlottenbourg, on ne verra ce jour-là ni le château, ni la luxueuse artère commerçante du Ku’ Damm, mais des lieux en apparence insignifiants: le parking couvert à l’entrée duquel il dormait, au pied de la borne d’accès, les vitrines criardes des sex-shops qu’il contemplait pour se changer les idées, la devanture d’un supermarché où il mendiait, un restaurant japonais niché dans une station de métro où il se vit un soir offrir un plateau de sushis invendus.
Lent processus de réinsertion
« Ceux qui n’ont pas de logement utilisent la ville d’une façon très différente par rapport à ceux qui peuvent rentrer chez eux pour se reposer », explique Sandra Rash, 31 ans, membre de l’association Querstadtein, qui propose depuis l’an dernier ces visites guidées de Berlin par d’anciens sans-abri. Créée par deux jeunes Berlinoises, Katharina Kühn et Sally Ollech, l’association a déjà conçu trois circuits basés sur les souvenirs de sans-abri qui ont réussi à s’en sortir. En plus de les accompagner dans le lent processus de réinsertion qui les attend lorsqu’ils quittent la rue en leur offrant une activité rémunérée, Querstadtein entend aussi faire la chasse aux idées reçues avec ces témoignages :
« Nous voulons montrer à ceux qui ont un logement et qui entendent toujours dire qu’en Allemagne, personne n’est obligé de vivre dans la rue pourquoi on peut tout de même glisser à travers les mailles du réseau social, afin qu’ils aient plus de compréhension et de respect vis-à-vis des SDF ».
« Tu as envie de mourir dans la rue ? »
Suspendu aux lèvres de Dieter, le groupe se tient face au banc où il avait pris l’habitude de passer la nuit lorsqu’il ne pleuvait pas, « parce qu’on pouvait s’y étirer de tout son long et contrairement à la gare, y passer la nuit sans être réveillé toutes les deux heures par des contrôles de police », quitte à y avoir perdu quelques millimètres de chair après s’être réveillé une nuit les pieds engourdis par le froid. « Je trouve ça acceptable », lance Dieter sur un ton jovial, avant d’expliquer la chance qu’il a eu dans son malheur: « Tu as envie de mourir dans la rue ? », lui a lancé un jour un policier alors qu’il végétait sur un quai de gare. Ça a été comme un électrochoc, après neuf semaines passées dehors. Faute de l’avoir recroisé et d’avoir pu le remercier, Dieter est devenu bénévole dans une association et passe désormais ses journées à aider les autres, ceux qui sont toujours dehors.
{"type":"Banniere-Basse"}