Soulman blanc et réformateur, l’Américain Shawn Lee est venu à Londres pour organiser les fiançailles entre Beck et Stevie Wonder. Jusqu’ici, la vie de Shawn Lee n’a pas été simple. Originaire d’un trou du Kansas (Wichita) où écouter de la musique noire est jugé comme un trouble comportemental aigu, d’une mère libano-amérindienne et d’un père […]
Soulman blanc et réformateur, l’Américain Shawn Lee est venu à Londres pour organiser les fiançailles entre Beck et Stevie Wonder.
Jusqu’ici, la vie de Shawn Lee n’a pas été simple. Originaire d’un trou du Kansas (Wichita) où écouter de la musique noire est jugé comme un trouble comportemental aigu, d’une mère libano-amérindienne et d’un père irlando-américain, notre homme s’est longtemps senti ballotté dans les virages entre les ruades de ses copains wasp et l’appel gracieux des chants gospels de l’église baptiste du coin. Son chemin tortueux a même croisé un temps celui de Jeff Buckley, autre roseau sauvage mal à l’aise dans ses racines on leur prête même des envies de mêler leurs sangs bâtards, désirs à jamais noyés dans les flots impitoyables du Mississippi.
Pensant que l’impassible Tamise aurait pour effet de tamiser la tourmente, Lee se posa à Londres il y a cinq ans, sans pour autant en finir avec la frustration et les projets ajournés. Son premier album, enregistré, n’est jamais sorti, et Monkey boy doit son salut aujourd’hui à la vista de Mark Jones, le patron du label Wall Of Sound, qui a su remarquer en lui un candidat crossover idéal pour étrenner sa nouvelle division pop, We Love You.
Doté d’une plantureuse voix soul à faire pleurer de honte les mères des pignoufs dépigmentés du R&B actuel, Shawn Lee renvoie aussi avec le seul Happiness le navrant Jaromickey à quelques karaokés de province. Car dans le genre imitation parfaite de Stevie Wonder sur fond de bossa novatrice, Lee prend quelques années d’avance, y compris sur Stevie lui-même. Pourtant, on s’égarerait en réduisant les douze travaux herculéens de Monkey boy à de savantes singeries et le garçon qui les interprète à un Laurent Gerra qui aurait potassé ses grimages chez Motown plutôt qu’au Bébête show. Comme l’autre chasseur blanc à cœur noir de la saison, Jeb Loy Nichols, Shawn Lee transpire plus la soul-music qu’il s’en inspire, elle lui dévale dans les veines comme un torrent incontrôlable et lui remonte dans les artères sans transiter par les muscles : nul effort ne semble avoir été convoqué pour tirer tel nectar de ses fruits d’origine.
Comparée au dernier caprice de Beck, la sincérité l’emporte toujours ici sur la maestria du style, Lee préférant l’épure soul à la profusion fumeuse. Moins à son avantage en prêcheur blues halluciné, une guitare dobro sur les genoux (on a assez d’un Ben Harper comme ça), Lee se rattrape ailleurs en bousculant ses chansons dans les cordes, en introduisant l’électronique et les breakbeats comme éléments perturbateurs, en déréglant les rythmiques (la valse martiale de 8 million ways to die et celle à mille temps de Disappearance of the man) et surtout en biseautant tous les espaces dès qu’ils deviennent trop faciles à investir. Prises en charge par les producteurs rapaces de la nouvelle soul, de telles chansons auraient subi des calibrages propres à en faire de la chair tendre pour les hit-parades planétaires. En l’état, elles demeurent des diamants bruts et c’est beaucoup mieux comme ça. How strong is your soul’, demande Shawn Lee sur l’un des sommets de l’album. On n’a pas besoin de lui retourner la question.