La philosophe et psychanalyste Anne Dufourmantelle, auteure de « La Puissance de la douceur » et de « Eloge du risque », est décédée accidentellement le 21 juillet.
Sa mort tragique, ce 21 juillet, à l’âge de 53 ans, a suscité une vague d’émotion en France. La philosophe Anne Dufourmantelle s’est noyée accidentellement alors qu’elle tentait de porter secours au fils d’une de ses amies âgé de dix ans, sur la plage de Pampelonne, près de Ramatuelle (Var), par un temps très tourmenté. Elle a succombé à un arrêt cardiaque.
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Grande tristesse à l'annonce de la mort d'Anne Dufourmantelle après l'acte héroïque du sauvetage d'un enfant de la noyade à Pampelonne.
— Élisabeth Roudinesco (@E_Roudinesco) July 23, 2017
Auteure d’une vingtaine de livres, dont L’Eloge du risque (Payot 2011), L’Intelligence du rêve (Payot, 2012) ou encore Puissance de la douceur (Payot, 2013), elle s’était fait une place à part dans le paysage intellectuel français, à mi-chemin entre la philosophie et la psychanalyse. « Grande philosophe, psychanalyste, elle nous aidait à vivre, à penser le monde d’aujourd’hui », a salué la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, sur Twitter.
Émotions suite au décès d'Anne Dufourmantelle. Grande philosophe, psychanalyste, elle nous aidait à vivre, à penser le monde d'aujourd'hui.
— Francoise Nyssen (@FrancoiseNyssen) July 23, 2017
« La douceur peut être une force majeure de résistance à l’oppression »
Née en 1964, Anne Dufourmantelle avait soutenu sa thèse de philosophie en 1994, sous la direction de Jean-François Marquet, sur le thème : « La vocation prophétique de la philosophie« . Elle a signé son premier livre, De l’hospitalité, avec son ami Jacques Derrida, en 1997. Chroniqueuse à Libération, elle a notamment enseigné à l’Ecole normale supérieure et à la New York University. Elle était également amie avec la philosophe américaine Avital Ronell, avec qui elle a écrit American Philo en 2006 et Fighting Theory en 2010.
Philosophe d’inspiration spinoziste, son oeuvre tout entière s’interroge sur le rapport entre la fatalité et la liberté, le passage de l’une à l’autre, en dépit de la fidélité et de l’obéissance. Dans Puissance de la douceur, elle consacre ainsi son analyse à des figures littéraires comme Bartleby le scribe, personnage d’Herman Melville qui incarne la « résistance passive », ou le prince Mychkine dans L’Idiot de Dostoïevski.
« La douceur peut être une force majeure de résistance à l’oppression, politique ou psychique », défendait-elle.
« Être doux avec les choses et les Êtres, c’est les comprendre dans leur insuffisance, leur précarité, leur immanence, leur bêtise. C’est ne pas vouloir rajouter à la souffrance, à l’exclusion, à la cruauté, et inventer l’espace d’une humanité sensible, d’un rapport à l’autre qui accepte sa faiblesse, et ce qui pourra décevoir en soi. Et cette compréhension profonde engage une vérité », écrivait-elle.
« L’idéologie sécuritaire ramène le vivant au seul sujet et à sa survie individuelle »
Anne Dufourmantelle était également jurée du prix des rencontres philosophiques de Monaco. Sa présidente, amie de la philosophe, Charlotte Casiraghi, garde d’elle un souvenir précieux :
« La sérénité lumineuse, et la douceur qui se dégageait d’elle n’étaient jamais mièvres mais semblaient toujours une grâce conquise au contact de la fragilité et d’une extrême sensibilité à la souffrance. Secrète et poétique, elle créait un espace où les mots avaient la puissance et la texture incantatoire du rêve, pour saisir les variations les plus infimes de la vie sensible ».
Critique envers la dictature de la transparence, elle s’est érigée contre les atteintes à l’intimité dans la société post-moderne dans Défense du secret (Payot, 2015). Enfin, dans L’Eloge du risque (2011), comme le rappelle Le Monde, elle commentait cette phrase de Hölderlin : « Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve ». Et faisait de la prise de risque le contraire de la névrose, un moment de détachement de toute dépendance. En 2014, elle avait été invitée à débattre avec l’historienne Annette Wieviorka sur France Culture, sur le thème – troublant par son caractère prémonitoire : « Pour qui, pour quoi risquer ou donner sa vie aujourd’hui ?« . Elle y déclarait notamment :
« Tout dépend de la manière dont le sujet se détermine dans une situation : c’est-à-dire par quoi il est porté et comment sa lutte, son but, ses valeurs, ne se limitent pas à sa seule survie. Or aujourd’hui, on est quand même dans une idéologie sécuritaire qui, je trouve, a une toxicité phénoménale car elle ramène la vie et le vivant au seul sujet et à sa survie individuelle, au fond. […] Un des lieux qui est le plus attaqué c’est effectivement le lien, c’est le rapport à l’autre… »
En exergue de son Eloge du risque, Anne Dufourmantelle avait inscrit une citation de Platon – « Le risque est beau ». Jusqu’au bout, sa vie aura été placée sous ce signe.
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