L’année 2014 fut marquée en arts par le vandalisme de l’œuvre de Paul McCarthy installée place Vendôme à Paris. Pour faire retour sur cet événement, nous avons demandé à un critique d’art étranger de nous livrer son commentaire. Chronique à distance du critique d’art et commissaire d’exposition coréen Jin Sang YOO.
La France fournissait, depuis des siècles, des épisodes exemplaires de l’Histoire de l’art que les autres pays pouvaient prendre pour modèle. De la révolte des artistes contre le conservatisme des salons comme chez les impressionnistes et le mouvement Dada, jusqu’à la révolution de 1968 qui a profondément changé nos regards envers la société, on constatait combien la culture française pouvait se montrer courageuse et géniale.
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La récente polémique autour de l’agression contre l’oeuvre de Paul McCarthy, « Tree », et sur la personne de l’artiste lui-même, ferait partie probablement de ces épisodes sauf que cette fois-ci cela nous donne beaucoup à réfléchir quant à ce modèle français en ce qui concerne l’art d’aujourd’hui.
En bref, que ce soit « arbre » ou « plug anal », le monument provisoire qui a provoqué autant de remous, présentait de grandes qualités de sculpture américaine et contemporaine avec sa surface-couleur immaculée et industrielle en forme hyper-minimale. On peut citer des artistes de cette lignée comme Donald Judd, Dan Flavin, Jeff Koons, ou encore le plus jeune Aaron Young, etc. Quand Paul McCarthy disait que c’est un objet en forme abstraite, il doit avoir dit la vérité. Ainsi l’artiste Donald Judd écrit dans son fameux article de 1965, « Specific Objects » que la tri-dimensionnalité forme de l’espace réel, qu’il faut éliminer la question de l’illusionnisme – une des reliques les plus discutables de l’art européen.
Selon Judd, les œuvres sont des « objets spécifiques » dont la vocation est de procurer à l’espace qui les environne une configuration particulière. L’art américain cherchait ainsi depuis plusieurs décennies un espace plus puissant et spécifique que la peinture et la sculpture conventionnelles. A partir de là, tout pouvait devenir en trois dimensions ; toutes les figures peuvent être régulières ou irrégulières ; tout matériel pouvait être utilisé, peint ou non. Surtout dans cette nouvelle tradition, forme, image, couleur et surface ne font plus qu’un.
En somme, l’oeuvre de Paul McCarthy s’inscrit clairement dans cette lignée de l’art américain. Il n’est donc pas juste de dire, comme le font certains professionnels déçus de l’art contemporain, que l’oeuvre de Paul Mccarthy était du n’importe quoi. On peut au contraire la regarder comme une réponse, stylisée, pop et redoutablement efficace adreséée à la culture française par l’art contemporain américain.
A part cela, tous les arguments concernant l’implication sexuelle ne valent pas d’être discutés ici. Le même “plug” était installé sur le parvis de l’Art Basel et personne ne le trouvait humiliant ni offensif. L’art est aussi une pratique qui produit le risque et le défi. Le “Tree” de McCarthy sur la place Vendôme aurait pu être un très beau début de dialogue non seulement entre l’ancien et le nouveau monde incarnés par la France et l’Amérique, mais aussi pour tout le monde.
Vu de loin, vu de l’Asie, les arguments entendus plaidant le vandalisme contre l’oeuvre de Paul McCarthy font indéniablement perdre beaucoup de crédibilité à la France, et entament sa bonne image culturelle, reçue dans le monde entier comme hautement savante et « cool », tout au moins dans son rapport à l’art et à la création.
Jin Sang YOO,
Professeur, critique d’art et commissaire d’expositions indépendant
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