Afro-américain et pianiste aguerri, Daryl Davis parcourt l’Amérique pour rencontrer les suprémacistes Blancs les plus racistes du pays. L’occasion de débattre avec ces leaders du Ku Klux Klan, et peut-être même les faire changer d’avis. Une méthode qui fait débat, même s’ils sont déjà deux cents à avoir quitté le groupuscule néo-nazi. Portrait.
Le sourire sincère, ils se prennent chaleureusement dans les bras pour se saluer, un peu comme deux vieux copains contents de se retrouver. D’ordinaire la scène n’aurait rien de surprenant. Sauf qu’ici, Daryl Davis, afro-américain, pose à côté d’un homme vêtu d’une robe bleue et avec une capuche pointue vissée sur la tête ; bref la tenue des leaders du Ku Klux Klan. « Pourquoi me haïssez-vous alors que vous ne me connaissez même pas ? ». C’est la formule choisie par Daryl Davis pour débuter ses rencontres avec les membres de l’organisation suprémaciste blanche.
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Agé de 59 ans, il a sillonné pendant près de trente ans l’Amérique pour aller à la rencontre des personnes les plus racistes du pays. Une initiative quelque peu surprenante qui lui aura tout de même permis de faire changer d’avis 200 membres du Klan. Même si Davis se défend de toute « quête » pour les convertir (« Ils ont vu la lumière et se sont convertis eux-mêmes »), il s’est rapidement aperçu que son initiative avait permis de faire tomber les robes de ces Klansmen, parfois même celles de hauts placés dans l’organisation, comme le Grand Dragon du Maryland. Une démarche qui résonne tristement avec l’actualité après les émeutes de Charlottesville et le retour en puissance des suprémacistes blancs.
Les mettre face à leurs contradictions
Cet ancien musicien qui ne jure que par Chuck Berry a transformé ce sacerdoce en un livre sorti en 2011 : Klan-destine Relationships : A Black man’s Odyssey in the Ku Klux Klan. Puis un documentaire, en décembre 2016, Accidental Courtesy : Daryl Davis, Race and America. Et les scènes sont souvent désarmantes. On y voit Daryl Davis passer du temps en compagnie de racistes notoires, ou bien assister à des réunions du Ku Klux Klan.
Avec un calme presque déstabilisant, il pousse ses interlocuteurs dans leurs retranchements en leur montrant les contradictions et l’ignorance de leur idéologie. Sa stratégie est simple : il a commencé à savoir tout ce qu’il était possible de connaître sur l’histoire et l’organisation du mouvement néo-nazi. « Qu’ils t’aiment bien ou non, ils respectent le fait que tu aies fait tes devoirs, ce qui me permet de revenir », explique-t-il auprès de la radio NPR.
Fils de diplomate, Davis a grandi à Chicago dans l’Amérique des années 60-70. Issu d’un milieu aisé donc, il voyage dans le monde entier et vit entouré de Blancs. C’est à l’âge de 10 ans qu’il prend conscience de sa différence et du racisme systémique qui règne dans la société qui l’entoure : alors qu’il défile avec sa compagnie de Boy Scouts, il reçoit tout un tas de projectiles de la part de la foule. C’est une claque pour le petit garçon à qui les parents doivent expliquer ce qu’est le racisme.
Tout commence ensuite au début des années 1990. Un soir, juste après l’un de ses concerts, un homme s’approche de Daryl Davis et lui dit : « Vous savez, c’est la première fois que j’entends un Noir jouer du piano comme ça ». Les deux hommes boivent un verre, discutent blues, rock’n’roll et boogie-woogie jusqu’à ce que son interlocuteur lui lâche : « Tu sais, c’est aussi la première fois de ma vie que je m’assois à la même table qu’un Noir ». De fil en aiguille il finira par lui avouer : « Je suis un membre du Ku Klux Klan », déclenchant alors un fou-rire du côté du pianiste qui prend ça pour une vanne un peu weirdo. Il faudra que l’homme finisse par sortir sa carte de membre du Klan pour que Daryl Davis le croie enfin.
Une idée qui germe
C’est le déclic. « C’était comme si j’avais planté une graine » dans l’esprit de cet homme, explique-t-il. « Que faites-vous une fois que vous avez planté une graine ? Vous la nourrissez ». C’est alors que Daryl démarre son périple à la rencontre des leaders et des membres du Ku Klux Klan. « La musique a joué un rôle considérable en permettant de construire des ponts face aux divisions raciales auxquelles j’ai été confronté”, analyse-t-il aujourd’hui.
“Je pense que tout part du fait que j’aie grandi avec mon père, un diplomate qui partait à l’étranger consolider les relations avec d’autres pays, j’ai juste appliqué cela au mien », insiste le musicien.
A chaque fois qu’un membre du Ku Klux Klan quitte l’organisation grâce à l’une de ses discussions, Daryl Davis garde l’uniforme de ces « déserteurs ». Une collection un peu flippante, mais que le pianiste assume : « Peu importe à quel point elle est honteuse, on ne brûle pas l’histoire. […] Et le Ku Klux Klan fait partie de l’Amérique autant que le baseball et les Chevrolet », justifie-t-il. Une démarche qui tournerait à l’obsession donc, quitte à aller parfois trop loin ? Dans son documentaire, on le voit tisser des liens étroits avec certains néo-nazis. Ce qui lui vaut d’ailleurs beaucoup de reproches.
https://www.youtube.com/watch?v=pESEJNy_gYQ
Connivence ?
« On m’a traité de vendu, d’Oncle Tom, d’Oreo et de pleins d’autres surnoms horribles », confie-t-il. Du côté des militants du mouvement de Baltimore, Black Lives Matter, sa démarche est violemment critiquée, jugée comme déplacée. Dans le documentaire, on les voit même couper court à la discussion avec Davis, dans un mélange de colère et d’incompréhension. « Désolée Daryl Davis, mais sympathiser avec des suprémacistes blancs n’éradique pas le racisme systémique, pas vrai ? », l’interpellait alors l’auteure Tamara White.
Après la projection de Accidental Courtesy : Daryl Davis, Race and America à Baltimore, le militant et artiste Kwame Rose l’avait aussi épinglé : « Infiltrer le KKK ne libérera pas votre peuple, arrêtez de perdre votre temps à vous incruster chez des gens qui veulent vous rabaisser. Les suprémacistes blancs ne changent pas ! », avait-il martelé. Des critiques que Daryl Davis préfère ignorer en justifiant :
« Il est important de toujours garder la communication ouverte avec ses adversaires. Quand on discute, même si le ton monte, on n’est pas en train de se battre. Donner son avis à des gens qui sont d’accord avec nous ne sert à rien. Je cherche à comprendre pour trouver une solution et effacer leurs peurs.”
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