Consacrée à la jeune création nippone, « Donai yanen ! » montre une génération désorientée, en lutte avec les fantômes de l’Histoire.
Astroboy est fatigué, il est même entre la vie et la mort : dans l’installation conçue par Hiroshi Araki, il garde les yeux fermés et demeure allongé sous un cercueil en verre, à moins qu’il ne soit sous couveuse pour une séance de réanimation artificielle. Une situation symbolique pour ce petit robot qui ne voulait pas grandir et auquel s’est identifiée la jeunesse nippone. Célèbre héros de manga à la fin des années 60, Astroboy cherchait ses repères dans une société en pleine mutation technologique. Et maintenant ? Il est comme un gisant sous une cloche de verre. Electrocardiogramme plat de toute une génération bercée par le rêve d’une civilisation heureuse et technologique, marquée en 1970 par l’Exposition universelle d’Osaka qui lançait le Japon sur la voie de l’ultramodernité, des jeux électroniques et de la culture manga. Le bilan est encore plus amer chez Kenji Yanobe : vêtu de sa combinaison « Atom », un des héros d’Astroboy, cet artiste des plus techno-parano se promène sur le site de Tchernobyl rebaptisé pour l’occasion « The Last amusement park » (« le dernier parc d’attractions »). Et maintenant ? C’est comme la fin d’un rêve.
D’un point de vue fashion, l’idée d’une expo sur la jeune création nippone arrive sans doute un peu tard : PS1 à New York a déjà tourné la page et prépare une expo d’artistes chinois, et ne serait-ce qu’à Paris la galerie Emmanuel Perrotin présente depuis plusieurs années des artistes désormais ultracélèbres comme Mariko Mori, Yanobe ou Murakami. Mais selon Eric Mézil, commissaire de l’expo, on s’est contenté de ces quelques noms d’artistes, résumé trop rapide de la création et de la société japonaises. L’exposition « Donai yanen ! » traductions immédiates : « et maintenant ? », « et alors ? », « qu’est-ce qu’on fout là ? » élargit notre regard dans un Japon tombé dans la crise, nous permet une meilleure compréhension des enjeux et des oeuvres. « Les Japonais eux-mêmes font la différence entre un art exportable, qui séduit l’Occident, et un art contemporain plus local, souvent plus douloureux. Certains sont très étonnés que je désire montrer en France des artistes et des oeuvres qu’ils estiment inexportables, incompréhensibles pour nous, et donc d’un intérêt limité. » Le tremblement de terre de Kobe en 95, l’attitude coupable du Japon lors de la Seconde Guerre mondiale, le sida, la précarité de la vie sociale : autant de thèmes largement travaillés par ces jeunes artistes japonais. Sayo Takeshima détourne l’allure classique des mangas pour évoquer les problèmes quotidiens des survivants de Kobe, tandis qu’autour d’Artscape, lieu associatif proche du groupe Dumb Type, on trouve pêle-mêle un féminisme militant ou des artistes engagés de manière souvent féroce et drôle pour la lutte contre le sida. Ces artistes japonais composent ainsi un autre visage du Japon, réveillent leurs morts et leurs traumas, entreprennent un travail de mémoire qui va contre l’amnésie collective que s’est imposée à elle-même et pendant plus de cinquante ans la société nippone.
Et maintenant ? Entre l’effondrement d’un rêve progressiste et le rappel des fantômes historiques, certains artistes recommencent au début, essaient de fonder une nouvelle sociabilité : tandis qu’Ozawa nous invite à assister sous une tente à la Milk ceremony, parodie de la cérémonie du thé, l’artiste Kimura Toshiro Jinjin installe dans la rue des Nodate, petits cafés ambulants. Habillé en drag-queen « pour provoquer ou pour attirer les gens », pour établir un contact, nouer la conversation. Shimabuku traverse le pays en stop et dessine les visages de ses hôtes, ou installe sur l’eau non pas une mégalopole, mais une sorte de café-bateau vagabond, échappant enfin à toute logique de rendement. Dans un Japon en pleine banqueroute, le Travelling café de Shimabuku peut servir de boussole et indique une nouvelle voie : profiter de la dérive pour faire retour vers l’autre. En toute humanité.
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