Un voyage sensuel au Maghreb avec les chorégraphes Héla Fattoumi et Eric Lamoureux.
Les tambours résonnent, étouffés et lancinants, échos du battement sourd du ventre des femmes. Elles sont trois à ne plus former qu’une et dansent comme liées par leurs propres membres, les mains toujours jointes, les pieds serrés. Toute leur vitalité et leurs luttes inscrites dans les nuques, les dos, les ventres. Les femmes ouvrent la danse, puis les hommes entrent en scène : Wasla est un triptyque qui ne mélange pas les genres. La lumière chaude qui filtre sous les persiennes, le soleil, les accents mélodiques du oud entraînent irrésistiblement dans la douceur du rêve, mais l’envers du décor n’est pas caché et nous ramène toujours vers d’autres réalités. Les bâches de plastique transparent rafistolées à coups de scotch font penser aux immeubles où les vieux cartons remplacent les vitres cassées. Un provisoire qui raconte autant de cicatrices et de contradictions d’un monde auquel Héla Fattoumi, Eric Lamoureux et leurs six danseurs ont su donner corps.
Les deux chorégraphes sont partis un mois en Tunisie pour construire ce spectacle. La séparation des sexes s’est imposée comme une évidence, les hommes et les femmes ne vivent pas dans les mêmes sphères et les cafés sont couramment appelés « cafés d’hommes ». Une donnée qui sous-tend le spectacle et fonctionne comme un non-dit permanent. « Quand on est rentrés de Tunisie, on a ramené deux objets symboles qui étaient pour nous représentatifs de ce voyage : un petit tabouret pour les hommes et un bédine (petit tambour) pour les femmes. La mère d’Héla, quand on lui a montré le bédine, s’est tout de suite mise à y battre un rythme. Ce genre de choses, on a l’impression que c’est inné, c’est en fait acquis depuis tellement longtemps que personne ne se pose la question. » Si pour Héla Fattoumi, d’origine tunisienne, travailler dans son pays l’amène forcément sur les chemins de l’intime, pour Eric Lamoureux, le risque aurait pu être une approche simplement touristique. Un piège bien déjoué : Wasla est un spectacle qui questionne l’identité, la mémoire et, en sous-texte, la sexualité le tout sans exotisme ni voyeurisme.
Les quatre hommes assis sur ces petits tabourets laissent couler le temps, s’installer une langueur qui se transforme aussi en ennui pour d’un seul mouvement libérer une énergie phénoménale. Alors que les trois femmes n’ont aucun contact, se ressemblent presque et restent une forme abstraite allégorique, les hommes, eux, se touchent et forment quatre propositions bien distinctes de l’homo virilus. Les mains sont caressantes, les corps évoluent entre la bagarre et l’étreinte. La sensualité des rapports ne masque pas les enjeux d’une virilité qui se doit d’être totalement affirmée. Héla Fattoumi a retrouvé dans les alcôves du palais Halfaouine les rondeurs d’un ventre maternel et les violences dues au seul fait d’être une femme. Dans le solo final, elle apparaît toute petite, lovée au creux du mur, se projette dans le sol, comme pour mieux y puiser dans ses racines, retrouve la légèreté d’une danse de gamine mêlée à la rigueur de son propre vocabulaire, se cache le visage dans sa tunique pour laisser apparaître l’objet de toutes les convoitises, tous les désirs, toutes les luttes : son ventre. « Je crois vraiment que dans le monde arabe, le ventre est l’enjeu de la modernité. »
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