Jack Hazan, cinéaste
Votre film le plus connu, Rude boy, s’intéressait au mouvement punk et plus précisément à la trajectoire de Clash. Gardez-vous un attachement particulier à cette époque ?
C’est une partie importante de ma vie, mais il ne m’en reste rien. Rude boy ne m’a rendu ni riche ni célèbre et m’a surtout causé des ennuis dans mon pays, en Angleterre. A l’époque, tous lesjournaux ont crié au scandale, ont dit que ce film devait être interdit. Il n’y a qu’en France qu’il a été reçu favorablement. Je ne connaissais pas Clash avant de faire Rude boy, le groupe s’est imposé à moi par son histoire, par sa force du moment : ce n’était pas un choix de ma part. Au départ, leur musique ne m’intéressait absolument pas, mais plus tard, à force de les observer chaque soir et de les filmer, je me suis mis à mieux les comprendre et à les apprécier. C’était un très grand groupe, mais je n’étais pas un grand fan de rock. Ce qui explique d’ailleurs sans doute que j’ai assez bien réussi à les montrer dans ce film : je crois que je serais incapable de porter à l’écran de manière objective l’une de mes véritables passions, le jazz, une musique que je trouve beaucoup plus excitante et vitale que le rock, ou le cinéma.
Dans votre vie de cinéaste, quelles ont été les découvertes fondamentales ?
Je pense plutôt à une période fondamentale de ma vie : les années que j’ai passées au département cinéma de UCLA, la fac de Los Angeles. En fait, je suis arrivé là-bas sans autre héros que le cinéma lui-même. Au départ, je voulais être cameraman, et puis la Nouvelle Vague a débarqué et des tas de possibilités se sont offertes à notre génération. A UCLA, nous avons été toute une bande de copains à être complètement transformés par Les 400 coups de Truffaut, par L’Avventura d’Antonioni, par tout le cinéma d’Ingmar Bergman, de Jean-Luc Godard. C’était assez cocasse de se retrouver là-bas, au bout du monde, et d’y être rattrapé par le cinéma européen, mais finalement, UCLA était un lieu extraordinaire pour goûter à cette révolution. Le campus était une fantastique enclave artistique et intellectuelle, le seul endroit dans toute la Californie où les films de Godard trouvaient un écho enthousiaste.
Que gardez-vous de tous ces films aujourd’hui ?
J’en garde surtout l’impression qu’un film doit être vu et revu, que seule l’épreuve du temps peut nous dire s’il s’agit vraiment d’un chef-d’oeuvre. Or, avec le temps, certains films de la Nouvelle Vague m’ont déçu… Citizen Kane d’Orson Welles est sans doute le meilleur exemple de résistance au temps : ce film, qui est certainement mon préféré de tous les temps un choix pas très original, j’en conviens , m’a sidéré lorsque je l’ai vu la première fois et il me sidère encore plusieurs dizaines d’années plus tard. C’est un film alien, toujours en avance de quelques époques sur la nôtre.
A Los Angeles, votre amour pour le jazz a-t-il survécu à votre immersion totale dans le cinéma ?
En Californie, le jazz était totalement absent. Pour voir des concerts, il fallait aller à New York. Ce voyage aux Etats-Unis, je l’avais d’ailleurs entrepris autant pour le cinéma que pour le jazz, dont New York était évidemment la Mecque. Pendant plusieurs mois, j’ai vu tous les concerts que je pouvais voir, que ce soit dans Central Park ou dans des clubs comme le Birdland. J’ai vu le big-band de Dizzy Gillespie, j’ai vu Miles Davis, des souvenirs fabuleux… Le jazz était un peu le rock de l’époque : c’est là que se trouvait la rébellion, l’insoumission. Dans sa très grande majorité, le public américain n’a d’ailleurs pas senti que quelque chose d’essentiel était en train de se passer dans les clubs de la Côte Est. Le jazz n’était pas aimé sur ses propres terres, et pour un jeune étudiant anglais comme moi, c’était encore plus extraordinaire de me retrouver dans l’intimité de ce mouvement. Ces souvenirs-là sont ceux que j’ai de plus chers, ils m’accompagnent chaque jour. On me demande parfois pourquoi je ne suis pas plus connu du grand public, et je réponds toujours que mon absence totale d’intérêt pour les démarches collectives m’empêche d’être un cinéaste dans l’air du temps. Le nouveau cinéma réaliste anglais se passionne pour les classes sociales et leurs divisions, alors que moi, je ne suis touché que par les trajectoires individuelles, les passions originales, singulières, les destins. Et je place mon amour du jazz parmi ces destins et ces passions assez particulières.
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