L’artiste Serge Comte est allé en Islande s’isoler dans un phare pendant six mois, ne communiquant plus que par le Net. Un projet de vie qui prend aujourd’hui forme d’art.
Le monde intérieur de Serge Comte est peuplé de créatures hybrides, de monstres étranges. Il y a les Superbbastards, autoportraits déformés, réalisés par morphing, et qui constituent une race en dégénérescence continuelle. Parfois il y a aussi Philippe Dorain, compagnon énigmatique de Serge Comte, cosignataire de certaines oeuvres. Mais encore les vidéos de Loup-Loup, les chansons avec Pascal, Martial ou Bastien. En Islande, l’artiste a aussi engendré les Délicieuses pucelles, mixtes de son propre visage et de figures féminines rencontrées sur des sites érotiques ou pornographiques. Des icônes fictives imprimées sur rhodoïd, enfermées dans des boîtes de disquettes et que l’artiste collectionne comme d’autres les papillons. « Mais il ne faut pas voir dans ces êtres une démultiplication du Moi. Ces personnages ne sont pas mes doubles, ils gagnent une réelle autonomie. Je leur prête un nom, une psychologie, une histoire personnelle. Ce sont des fictions teintées de réalité, et moi je suis par rapport à elles en position d’acteur. C’est comme quand un enfant, dans sa chambre, joue avec son ombre et compose une figure de capitaine. Bientôt il en a peur. Ce personnage se détache de lui, ce n’est pas lui, c’est bel et bien le capitaine.«
A la galerie Jousse-Seguin où il vient faire sa deuxième exposition personnelle, ce Grenoblois est revenu de son exil volontaire en Islande avec une troupe d’Avatars, personnages créés lors de ses diverses discussions sur le Net. Hugbug, Serge le Geyser, Elizabethparker, parfois plusieurs pseudos occupant un même visage. L’exposition donne une retranscription de ce forum à la fois intime et surpeuplé : galerie de portraits, affichage de smilies et de termes empruntés au vocable internaute, avec également un écran de veille, simple carré composé de Post-it Notes de couleur noire et collés sur le mur. L’expo s’accompagne encore d’un livre, visAvis, the lighthouse project, mélange d’extraits de forums, de conversations fictives, de listes d’avatars et d’e-mails, produit littéraire hybride situé à la croisée du texte de théâtre, de la pièce radiophonique et du journal de voyage. On l’a compris, cette expo ne ressemble en rien à un retour d’Islande, ne prend jamais l’allure d’un documentaire, genre Serge au pays du fjord : « Je suis resté en Islande du 21 juin au 21 décembre dernier. Je voulais faire au moins quelques vidéos extérieures, mais le temps n’a cessé d’empirer, il ne faisait presque plus jamais jour, et je suis donc resté dans le phare, assis de plus en plus souvent face à mon ordinateur portable. Je communiquais par le Net, et j’ai eu l’idée de ce livre. »
Seul avec lui-même, Serge Comte ne connaît pas l’ennui. L’autonomie, l’isolement sont même à ses yeux une forme de bien-être à laquelle il a donné un nom : le « safe at home ». Et si son travail investit des matériaux bureautiques aussi insignifiants, aussi légers qu’un Post-it ou une boîte de disquettes, c’est précisément pour des raisons d’économie autarcique, pour ne pas avoir à faire appel à quelqu’un d’autre : « Quand on fait des grosses pièces avec du matériel important, il faut toujours passer par un intermédiaire, un transporteur, quelqu’un qui installe les oeuvres… Il m’est arrivé de faire des choses avec d’autres personnes, des photomatons avec Vidya & Jean-Michel par exemple, une performance avec Rebecca Bournigault, mais avec quelqu’un d’autre ça me stresse, tout devient compliqué, tout doit être décidé à l’avance. A l’inverse, quand je viens de Reykjavik à Paris, l’ensemble de l’expo tient presque dans ma main. Des Post-it, des disquettes : tout est là, avec moi. »
Dehors le monde oppressant des autres et de la surconsommation, dedans la foule à la fois trouble et rassurante des avatars et des créatures hybrides, l’explosion multimédia d’un geyser de formes. Exilé et nomade, Serge Comte n’est pas une personne, plutôt un espace de création, un être qui donne une forme contemporaine aux démons intérieurs.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}