Barbe Bleue de Georg Trakl mise en scène de Marie Vayssière.
Inutile de tourner autour du pot : le fait ne saurait être passé sous silence. Avant d’être metteur en scène, Marie Vayssière fut comédienne dans la troupe de Kantor et joua dans Je ne reviendrai jamais et Aujourd’hui c’est mon anniversaire. Comment échapper à une telle influence, comment même en parler « Là, il faut m’aider, reconnaît l’intéressée. Quelque chose me nourrit, c’est sûr, mais ça ne s’exprime pas sur le plateau par des manteaux et chapeaux noirs, des mannequins et des croix dans tous les coins… Inutile de préciser que les pantins de Barbe Bleue n’ont rien à voir avec les mannequins du théâtre de Kantor.«
On aurait bien une idée. Dans cette histoire d’amour impossible et de fatale mise à mort, on pense irrésistiblement à ces mots de Kantor : « Dans ma vie, j’ai été menacé par beaucoup de dangers. Il n’y a pas que les dangers officiels, c’est-à-dire, provoqués par la société où nous vivons, émanant de la police, du pouvoir, des obligations sociales. Il y a des dangers absolument personnels, privés, comme l’amour ; le sentiment aussi est un danger. Ce sont ces dangers très intimes qui vous agrandissent peut-être plus que les dangers officiels.«
Dans les six courtes pages de la pièce de Trakl résonnent avec insistance son amour incestueux pour sa soeur, la désespérance qui s’ensuivit jusqu’au suicide, sur le front de la guerre de 14, à 27 ans. Du conte de Perrault ne subsiste qu’une certitude : la mort n’a besoin ni de raison ni de prétexte pour apparaître. La violence et le crime travaillent pour elle. Il n’y a rien à esquiver, rien à tenter : ne reste que l’expérience du passage, épreuve sacrificielle bien plus qu’initiatique puisque sa conclusion est définitive. C’est à cette traversée que Marie Vayssière convie le public. Avant que les premières paroles soient échangées, on est déjà à mi-parcours. Des castelets recouverts de draps blancs, un miroir pendu aux cintres. Des corps vacants dans un espace blanc. Et de drôles de pantins, corps mou et visage poupon. Elizabeth, la jeune fiancée de Barbe Bleue, se refuse à l’enfant-pantin, à son étreinte. Ce sont les mots qui sortent ; le fait va se produire, aucune issue possible. Le récit est fulgurant, les corps semblent aller contre les mots, les contredire. C’est dur à en mourir de ne pouvoir aimer.