Le Cereal Killer Café, ouvert il y a quelques jours dans un quartier pauvre et branché de Londres, a rouvert un débat enflammé sur la gentrification. Ses propriétaires, deux jumeaux à la barbe taillée, sont devenus la cible des anti-hipsters.
L’idée leur est venue un lendemain de cuite. Ce jour-là, Alan et Gary Keery auraient tué père et mère pour apaiser leur gueule de bois à l’aide d’un doux mélange de lait et de céréales. Ils décident donc de monter leur petite entreprise, le Cereal Killer Cafe, un bar à concept dans la lignée des bars à chats, à soupes, à putes ou à oxygène. Dans un décor nostalgique – posters vintage, jouets, télés qui diffusent des dessins-animés des années 80 – ils proposent aux amateurs une expérience délicieusement régressive: choisir ses céréales préférées parmi 120 références, ajouter du bon lait et retomber gentiment en enfance. Rien de bien méchant a priori. Mais depuis l’ouverture, le 10 décembre dernier, le lait bout – et agite toute l’Angleterre.
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Indécent ?
Le café est installé dans le district de Tower Hamlets. Depuis quelques années, ce quartier de l’East End londonien, à proximité de Canary Wharf, le plus grand centre d’affaires de la ville, est devenu le nouveau repaire des branchés, attirés par sa vitalité culturelle. Mais c’est aussi l’un des quartiers les plus pauvres, avec notamment un taux record de pauvreté infantile. Un aspect souligné par un journaliste de Channel 4, une chaîne de TV publique, venu couvrir l’ouverture du bar. « N’est-il pas indécent de vendre trois livres un bol de céréales dans ce quartier ?« , demande-t-il. Le propriétaire semble décontenancé puis irrité, et devant l’insistance du reporter, il clôt l’interview, indiquant qu’il a du monde à servir et qu’il « n’aime pas ses questions« . Mal lui en a pris : le reportage va devenir viral et générer des milliers de commentaires anti-hipsters sur Twitter, du type « pendant que les barbus avalent leur bol de céréales hors de prix, les enfants du quartier crèvent la dalle ».
Hipster-bashing
Mais devant la virulence des attaques, une deuxième vague, de soutien cette fois, est venue rouvrir le grand débat sur la gentrification. Une journaliste du New Stateman (un magazine marqué à gauche) a publié un article intitulé : « En défense du Cereal Killer Café : pourquoi le hipster-bashing paresseux ne règlera pas les inégalités ». Elle rappelle notamment que l’augmentation constante des loyers pénalise les pauvres bien plus qu’un simple bar à céréales – et que les jumeaux n’en sont pas responsables.
L’un des proprios a publié sur Facebook « une lettre ouverte de complainte » contre le journaliste de Channel 4. Il écrit : « Je suis le propriétaire d’une petite entreprise et je mise tout ce que j’ai dans cette affaire« . Il indique par ailleurs que lui et son frère emploient douze personnes et promet – si le succès est au rendez-vous – qu’ils aideront des associations caritatives et offriront des petits déjeuners aux enfants pauvres du quartier. « Je ne suis pas le connard égoïste pour lequel vous avez voulu me faire passer. […]. Si vous voulez trouver quelqu’un pour régler le problème de la pauvreté à Londres, je ne pense pas pouvoir être l’homme de la situation« , ajoute-t-il. Avant de signer, ironiquement : « la pire personne de la terre« .
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