Oubliez tout de suite l’appellation « western spaghetti », diffamante et ridicule. Le cycle western italien, que propose durant tout le mois de mai le Cinéma de quartier sur Canal+, va permettre de revoir cinq des meilleurs films d’un sous-genre méprisé, car toujours jugé comme un pillage malhonnête du « vrai » western, américain par excellence.
Oubliez tout de suite l’appellation « western spaghetti », diffamante et ridicule. Le cycle western italien, que propose durant tout le mois de mai le Cinéma de quartier sur Canal+, va permettre de revoir cinq des meilleurs films d’un sous-genre méprisé, car toujours jugé comme un pillage malhonnête du « vrai » western, américain par excellence.
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On a qualifié à tort Sergio Leone d’inventeur du western européen. Il fut seulement le premier, avec Sergio Corbucci, à styliser un genre sans noblesse. Leone restera par contre un cinéaste solitaire, du moins isolé, porté par une vision intime du western et de l’histoire de l’Amérique vue à travers le prisme de l’Europe. Leone devint un inventeur de formes, un expérimentateur qui connut de grands succès commerciaux, un des derniers grands auteurs populaires. Pour s’être attaqué au western, intimement lié à l’âge classique du cinéma américain, Leone suscita un torrent égal d’admiration et de haine. Luc Moullet le situe entre Syberberg et Duras, pour son utilisation excessive de la lenteur et de la durée, tandis que Jacques Lourcelles l’accuse d’être avec Godard le principal responsable de la dégradation artistique du cinéma après 1960 date qui coïncide bien sûr avec la modernité. Mais exit Leone, d’ailleurs peu concerné par les films engendrés par ses propres succès : « On m’avait désigné comme le père du genre ! Je n’avais eu que des enfants tarés. Aucun ne pouvait être légitime. De quoi être écoeuré… » (in Conversation avec Sergio Leone de Noël Simsolo).
Si Leone fait allusion à la horde de sous-produits nullissimes et parodiques (le consternant duo Terence Hill-Bud Spencer) qui dégoûta à jamais le public du western italien, il est injuste avec une poignée d’excellents films (Django de Corbucci, El Chuncho de Damiano Damiani), tous réalisés dans la seconde moitié des années 60, et souvent passés inaperçus à leur sortie. La sélection de Jean-Pierre Dionnet et son équipe est idéale, tant elle éclaire les différentes sources d’inspiration du western italien, et ses principales orientations esthétiques et thématiques. Le Dernier face-à-face (Faccia a faccia, 1967) est le western le plus abouti
de Sergio Sollima, auteur oublié d’oeuvres majeures du cinéma « bis » italien (Colorado, La Poursuite implacable). Faccia a faccia raconte le récit initiatique d’un professeur moribond (Gian Maria Volonté) qui, au contact de l’Ouest sauvage et d’un bandit bestial (Tomas Milian), retrouve force et santé mais développe également un goût malsain pour la violence qui le conduira au fascisme. Faccia a faccia est une épopée lyrique doublée d’une
fable politique sur la violence individuelle et la violence d’Etat. Il faut envisager le chef-d’oeuvre de Sollima comme le contrepoint ironique et beaucoup plus subtil des fictions de gauche qui dominaient le cinéma italien de l’époque (les films de Petri, Rosi…) et qui voulaient dresser le constat de la crise sociopolitique du pays. On a depuis fustigé le manichéisme de ces oeuvres de dénonciation construites sur un processus d’identification du spectateur à un personnage témoin (juge, journaliste et, dans le film de Sollima, le prof humaniste). Sollima inverse et complexifie ce schéma narratif, grâce à un scénario maquillé en « métaphore politique très astucieuse », comme le note Serge Daney dans La Rampe. Daney soulignait l’intelligence de « l’admirable spaghetti-western de Sergio Sollima, Le Dernier face-à-face, où un tel mécanisme je vois, donc je prends conscience est perverti et ridiculisé à force d’être répété tout au long du film. » Ceux qui fustigent le simplisme du western italien doivent donc découvrir ce Dernier face-à-face, qui rejoint les chefs-d’oeuvre inconnus d’une histoire transversale du cinéma italien.
La beauté paradoxale du western italien réside dans sa porosité et sa faculté d’être contaminé, davantage par la proximité du cinéma italien contemporain que par le western américain, trop loin, déjà mort. Chez Sollima, le western se métamorphose en film politique, avec Antonio Margheriti, il se teinte de fantastique. Et le vent apporta la violence (E Dio disse a Caino, 1969) est une réussite de Margheriti, artisan inspiré de l’horreur et de la science-fiction transalpines. Cette histoire de vengeance, qui baigne dans une atmosphère nocturne et cauchemardesque, s’apparente en effet aux récits d’épouvante gothique. Klaus Kinski, étonnamment sobre en ange exterminateur, hante les plans avec son intensité habituelle. La multiplication gratuite d’effets photographiques déstabilisants (zooms, grands angulaires, plongées et contre-plongées vertigineuses…) suscite une torpeur malséante. En définitive, Et le vent apporta la violence est plus proche d’un Visconti sous acides que de Boetticher.
Un mot définit à la perfection le western italien : l’exagération. Corbucci, le deuxième Sergio (après Leone et avant Sollima), va exacerber le genre dans deux directions opposées : la cruauté (Le Grand silence) et le grotesque (Mais qu’est-ce que je viens foutre au milieu de cette révolution ?). Compañeros (Vamos a matar, compañeros, 1970) appartient à la seconde veine. C’est une farce énorme mais non dénuée de mélancolie. En pleine révolution mexicaine, un trafiquant d’armes suédois, cynique et vénal (Franco Nero, star du genre), croise sur son chemin un péon à moitié débile : Tomas Milian, acteur excentrique et génial, emblématique de la grande époque du cinéma italien puisqu’il alterna les compositions en demi-teintes chez Bolognini, Visconti, Antonioni, Bertolucci et les numéros de cabotinage hallucinés dans une flopée de polars, de comédies érotiques et surtout de westerns remarquables. La fréquente désinvolture de Corbucci est facilement pardonnée par l’euphorie provoquée par le film. La musique d’Ennio Morricone, tonitruants choeurs révolutionnaires, est inoubliable, tout comme celle, obsédante, qu’il composa pour Faccia a faccia.
Le Retour de Ringo (1965) est le moins frénétique des westerns du lot. Suite d’Un Pistolet pour Ringo, déjà réalisé par Duccio Tessari et interprété par le bellâtre Giuliano Gemma, il s’agit de la transposition de l’épisode final de L’Odyssée d’Homère dans le contexte du western !
Enfin, on ne remerciera jamais assez le Cinéma de quartier d’exhumer une oeuvre maudite, Tire encore si tu peux (Se sei vivo, spara, 1970) de Giulio Questi, déjà auteur d’un thriller bizarroïde, La Mort a pondu un oeuf (!), avec Trintignant et Gina Lollobrigida (!!). Tire encore si tu peux est l’avatar monstrueux et westernien de la modernité italienne, dans la lignée des films de Tinto Brass et Bertolucci, eux-mêmes sous influence godardo-antonionienne. C’est peut-être le film maniériste ultime où, pour paraphraser Jean-François Rauger, la distorsion des formes et des thèmes conduit à leur destruction. Jugez plutôt : un métis bisexuel (à nouveau Tomas Milian !), trahi et enterré vivant par ses complices, débarque dans une ville pourrie où deux clans se disputent de l’or volé. Ce résumé ne donne qu’une faible idée du vent de démence qui souffle sur le film, véritablement possédé par la mauvaise pulsion (torture, viol collectif homosexuel) et le fétichisme. Tomas Milian, incontrôlable, se transforme cette fois-ci en une icône gay (il se fait crucifier) déchirée entre le souvenir d’un éphèbe blond et une prostituée, et trouve son rôle le plus grandiose dans ce film infernal, véritable chaînon manquant entre les collages pop de Tinto Brass et l’érotisme pasolinien.
Il est important de souligner que les films du cycle sont présentés en version originale sous-titrée et en version intégrale. Tire encore si tu peux, qui provoqua un terrible scandale à sa sortie, fut ainsi expurgé de ses passages les plus explicitement sadiens et homophiles qui nous sont aujourd’hui restitués. De plus, ce panorama riche en dérision, en violence et en lyrisme replace le western italien comme le versant commercial et impur du cinéma tiers-mondiste qui émergea à la même époque. A cet axe Leone/Pasolini, emblématique de la circulation effervescente entre le cinéma d’auteur et le cinéma populaire en Italie, répond outre-Atlantique un doublon symétrique poète/conteur, avec encore la latinité comme dénominateur commun : un réalisateur maniériste fasciné par le Mexique et victime des studios, Sam Peckinpah, et un cinéaste brésilien révolutionnaire, Glauber Rocha (Antonio Das Mortes, à sa façon un nouveau western).
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