Plusieurs artistes tentent de nouvelles formes de bibliothèques, pensées en termes d’échanges et non de place.
Quand on lui propose en 1996 d’intervenir dans l’espace public de Grenoble, l’artiste Matthieu Laurette décide d’investir la toute récente bibliothèque de la place Saint-Bruno. Non pour poser une sculpture devant la porte d’entrée, ni accrocher des oeuvres aux murs, mais plus simplement pour mettre en dépôt sa bibliothèque personnelle. Prêtée jusqu’en l’an 2000, « La Bibliothèque dispersée » ne fait pas l’objet d’un rayonnage spécifique, elle est au contraire disséminée parmi les livres de la bibliothèque publique. « Je n’ai pas fait de choix, j’ai prêté l’intégralité des livres que j’avais apportés à Grenoble ou acquis sur place, sauf les dictionnaires et les formats impossibles à mettre en rayon. Perec, Guyotat, la monographie rétrospective de Warhol et aussi des livres rares, en particulier un catalogue de Kabakov photocopié à 60 exemplaires. Seuls un code informatique supplémentaire, une étiquette sur la tranche et à l’intérieur un tampon les distinguent des autres livres. » « Apparition de proximité », cette stratégie d’insertion, de diffusion du geste artistique dans des lieux inattendus met en relation un espace intime et un espace public. Son projet bibliothécaire n’est donc pas d’ordre architectural, il ne participe pas aux logiques d’extension et d’accumulation qui gouvernent d’ordinaire la gestion institutionnelle des livres. « La Bibliothèque dispersée » s’axe davantage sur l’idée du don et du prêt, pense la bibliothèque en termes d’échanges, et non de place. C’est aussi le sens du projet conçu par une autre jeune artiste, Elizabeth Arkhipoff : là il s’agit carrément d’une médiathèque constituée de livres, de vidéos, de CD-Rom, de disques et d’images. Ouverte à tous dans une salle prêtée par l’Ecole des arts déco, elle est libre de tout contrôle et se trouve uniquement fondée sur la notion de générosité et de confiance. D’un côté des donateurs, de l’autre des emprunteurs. Lieu d’échanges, la Médiathèque Terre de ciel sera aussi le vecteur de diverses manifestations : expos, conférences, projections, lectures, performances… Enfin, de leur côté, les Perpendiculaires, entraînés par Jean-Yves Jouannais, préparent l’installation à la Villa Arson d’une bibliothèque des manuscrits refusés, dans l’esprit de la bibliothèque Brautigan créée dans le Vermont. Histoire de vérifier qu’il y a de la littérature en dehors des espaces reconnus par les gens du livre, et que cette infra-littérature qui n’a pas vu le jour peut s’avérer aussi importante, et peut-être aussi riche, que celle qui réside dans les espaces dûment livresques. Trois projets qui réinjectent de la réalité dans nos rayonnages en s’intéressant aux gestes d’échanges ou aux oubliés de la production industrielle, et venant contredire une pensée par trop administrative et désincarnée de nos bibliothèques grandissantes.
Jean-Max Colard
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