Depuis plusieurs semaines, les rues allemandes voient se succéder des manifestations contre l’islamisation. Le mouvement Pegida réunit notamment quelque 10 000 personnes à Dresde.
“Il n’y a pas qu’un seul mouvement, insiste Patrick Moreau, politologue spécialiste des mouvements extrémistes dans le monde germanique, il existe de nombreuses formes de mouvements, et Pegida en est une.” Depuis cinq ou six mois, assure-t-il, des mobilisations contre l’islamisation naissent un peu partout en Allemagne, et rencontrent plus ou moins de succès selon les villes.
Pegida, le Patriotische Europäer Gegen die Islamisierung des Abendlandes, (ou “Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident”), rassemble par exemple plusieurs milliers de personnes à Dresde, dans l’ex-Allemagne de l’Est. A l’origine de cette mouvance, explique Patrick Moreau, une manifestation de supporters de foot, “des ultras, des hooligans et des néonazis”, contre l’islamisation, qui a viré à des affrontements avec la police. L’occasion pour des petits partis d’extrême droite allemands d’appeler à poursuivre les manifestations :
« Des actions sont alors apparues un peu partout. Elles ne sont pas coordonnées entre elles et ne sont pas dirigées par le NPD [parti national démocrate, d’extrême-droite]. »
“Pas un mouvement xénophobe classique”
Deuxième terre d’immigration du monde après les Etats-Unis, l’Allemagne comptait l’année dernière près de 465 000 arrivants, pour les trois quarts européens, pour 80 millions d’habitants. Et ces dernières années, le nombre de demandeurs d’asile a explosé, grand nombre d’entre eux fuyant la Syrie, l’Afghanistan ou l’Irak. Cette année, plus de 25 000 demandes ont été acceptées sur 158 000, contre 20 100 sur 127 000 en 2013, rapporte Libération. Mais selon Patrick Moreau, ce ne sont pas tant ces demandeurs d’asile que conteste Pegida :
« Les Allemands, en général, sont prêts à accepter les demandeurs d’asile. Mais ils sont moins enclins à accepter l’immigration économique, et en particulier les étrangers dits ‘visibles’. La cumulation de toutes ces formes d’immigration les conduisent à manifester. En outre, la multiplicité des problèmes économiques amène les Allemands à penser que ces migrants en sont la source. »
Un autre phénomène semble dresser Pegida en particulier contre l’islam, ajoute le politologue : la montée du salafisme en Allemagne : “Ils étaient environ 1 500 il y a deux ans, ils sont aujourd’hui 6 000.” Ces radicaux entretiennent une peur, celle du terrorisme principalement. Une peur qui est alimentée par une “méconnaissance de l’islam et de la population étrangère”, précise Gilbert Casasus, professeur d’études européennes. Car paradoxalement, certaines des régions où se déroulent les manifestations, comme la Saxe, comptent à peine 2 % d’immigrés.
« Pegida n’est pas un mouvement xénophobe classique, il est strictement anti-islam », conclut Patrick Moreau.
Des “citoyens en colère”
Pegida serait donc plus le fruit de la peur et de l’exaspération de citoyens allemands ordinaires. « Il faut être prudent, avertit Patrick Moreau, ce ne sont pas des néo-nazis, ni même des extrémistes », même si ceux-ci se greffent aux rangs de Pegida :
“Il y a beaucoup de personnes qui ne sont pas vraiment politisées, mais qui ont peur.”
Et c’est en cela que c’est inquiétant, selon Gilbert Casasus : Pegida obtient le soutien auprès d’une population dont on n’aurait pu soupçonner la possibilité d »adhérer à un tel mouvement. “Les idées d’extrême droite sont de plus en plus acceptées, s’alerte-t-il, d’autant plus qu’elles ne sont pas toujours dénoncées par les partis traditionnels”, faisant référence à la réaction de certains ministres de l’Intérieur allemands, qui affirmaient la semaine dernière la nécessité de tenir compte des revendications de Pegida.
Ces “initiatives citoyennes”, décrivent les deux chercheurs, tiennent à un déclin des partis politiques :
« En science politique, on parle de ‘citoyens en colère’, explique Patrick Moreau, ce sont des personnes qui se détachent des partis politiques pour faire pression sur leurs gouvernements et leurs partis. Mais ils n’iraient pas voter NPD. »
Gérer le salafisme et mieux expliquer l’immigration
Pour Gilbert Casasus, cette colère est le résultat de l’inaction de l’Allemagne en matière d’immigration. Une analyse que révise quelque peu Patrick Moreau :
“Il y a eu des fonds débloqués pour l’immigration, mais le gouvernement s’est laissé déborder par la forte arrivée de migrants. Il ne s’attendait pas à un phénomène d’une telle ampleur, et cela pose inévitablement des problèmes d’infrastructures.”
Si la gestion de la peur et du salafisme apparaissent comme des solutions pour apaiser des mouvements comme Pegida, il faut également éduquer à plus long terme quant à l’immigration, qui s’avère indispensable, s’accordent les deux spécialistes. Face à un déficit démographique inévitable, remarque Gilbert Casasus, l’Allemagne aura besoin de plusieurs millions d’immigrants dans les années à venir. « Il est important de rappeler aux Allemands que l’immigration apporte plus qu’elle ne coûte », conseille Patrick Moreau.
Actuellement, la peur semble avoir pris le pas sur la réflexion à long terme. A cette peur s’ajoute une défiance vis-à-vis des partis politiques. Dans ce contexte, il est facile d’instrumentaliser l’immigration, et l’islam en particulier, pour faire de toute une partie de la population de nouveaux boucs-émissaires. Mais déjà, des manifestations pour contester ce mouvement se sont organisées dans le pays.