Les plus célèbres taches de rousseur du cinéma français se racontent dans “Les Baisers du soleil”. Courageux petit soldat chez Godard et Pialat, sex symbol des seventies, Marlène Jobert est très heureuse d’être devenue “Eva Green’s mother”.
Pourquoi vous êtes-vous enfin décidée à raconter votre vie ?
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Marlène Jobert – Je doutais de ma capacité à écrire pour les adultes. Et puis vous savez, je n’ai pas dépassé la sixième, alors je sais parfaitement que je n’ai pas un gros bagage culturel. Raconter sa vie est tellement pompeux et nombriliste ! J’ai fini par me lancer quand je me suis aperçue que mes filles ne savaient presque rien de ma carrière d’actrice.
Comme celui qui allait devenir votre mari n’avait aucune idée de votre notoriété stratosphérique quand vous l’avez rencontré… Il vivait sur Mars ?
Sans doute. La première fois qu’il m’a invitée au restaurant, toute la salle m’a reconnue et chuchotait en nous regardant. Il n’en revenait pas. Avec le plus de modestie possible, je lui ai expliqué que j’étais un peu célèbre. Mais lui était dentiste et le cinéma ne l’intéressait pas… Au fond, qu’il soit à ce point ignorant de ma notoriété n’était pas pour me déplaire.
Et vos filles ? Joy et Eva Green savent que leur maman a été la plus grande vedette féminine française de la fin des années 60 au début des années 80 ?
Elles ont vu quelques-uns de mes films quand ils passaient à la télé, surtout Alexandre le bienheureux. Mais non, pas vraiment. Une fois, quand elles étaient encore petites, on m’a demandé des autographes. Joy s’est exclamée : “Dis donc, maman, t’en connais du monde !” Mais elles n’ont jamais été épatées par ma carrière. Tant mieux, d’ailleurs.
Vous racontez l’enfance et l’adolescence bancales d’une fillette de province que tout complexe : son échec scolaire, sa myopie, ses taches de rousseur…
Oui, elles ont fini par me servir ! Après mon accident de voiture et à cause de la cicatrice que j’avais sur la joue, j’ai même appris à m’en ajouter ! Ça reste incompréhensible, miraculeux, que mon père très sévère, militaire de carrière, m’ait laissée monter à Paris faire l’école de la rue Blanche puis le Conservatoire, alors que j’étais loin d’être majeure et que je ne connaissais personne. Moi, je n’en reviens toujours pas d’avoir eu cette audace. Et d’ailleurs, je ne m’en souviens pas ! Je ne me souviens pas avoir fait ma valise, ou de comment je suis montée à Paris, sans doute en train, ou de moi arrivant gare de Lyon. Rien, le trou noir. Je ne me souviens pas non plus comment j’ai obtenu le nom de cette femme, habilleuse au Théâtre de la Madeleine, qui louait une chambre chez elle. Mon premier souvenir, c’est moi dans la classe de Robert Manuel, rue Blanche. C’est lui qui a trouvé mon emploi : comique, la petite rigolote, avec des longues nattes rousses et ses taches de rousseur. Je n’avais le droit que de faire rire…
Quels souvenirs gardez-vous de cette première année à Paris ?
J’étais très seule et j’avais très froid. J’avais tout le temps froid.
Comment le cinéma s’est-il intéressé à vous ?
Moi, je ne pensais qu’au théâtre, ça me convenait très bien. Et puis avec cette fichue cicatrice sur la joue… Jusqu’à ce que Godard tombe sur ma photo. J’avais un côté un peu androgyne, avec mes cheveux courts et mes taches de rousseur, qui a dû lui plaire. C’est comme ça que j’ai tourné Masculin féminin, mon premier film.
Un premier film signé Godard…
Oui, mais j’ai été si déçue… Je rêvais d’une relation passionnante entre un metteur en scène tel que Godard – j’avais vu et adoré A bout de souffle et Pierrot le fou – et ses comédiens. Mais rien. Il était froid, distant, nous parlait à peine et nous traitait comme des objets qu’on déplace : – “Tu entres par cette porte et puis tu vas là.” – “Mais je vais où, au juste ? Et je viens d’où ?” – “Tu entres par cette porte et puis tu vas là.”
Il ne s’agissait pas de discuter. Quant à Jean-Pierre Léaud, il avait l’air ailleurs, impénétrable. Lui non plus ne me parlait pas. Mais bon, c’est le film qui m’a lancée…
Vous avez failli ne pas tourner “Dernier domicile connu” de José Giovanni, avec Lino Ventura, parce que vous considériez que votre personnage n’était pas assez étoffé…
Erreur de jeunesse. Après L’Astragale et Le Passager de la pluie, qui avaient été de très grands succès, je m’imaginais qu’on ne me proposerait plus que des grands rôles comme ça. Je croyais que c’était ça, la carrière d’actrice : enchaîner des rôles de plus en plus importants, je n’avais pas encore compris l’importance du scénario. Et là, c’est encore le mec qui avait le beau rôle ! En plus, comme j’avais râlé, ils m’avaient promis de retravailler mon personnage. Et quand je reçois le scénario définitif, rien, pas un mot de plus ! Alors je me suis vexée, bêtement, et j’ai failli me braquer. Heureusement que je l’ai tourné, finalement ! C’était la crème de la crème du cinéma populaire de l’époque. J’ai pu comparer vers la fin des années 70, début 80, quand on ne me proposait plus rien de très intéressant. Vous savez, un acteur est condamné à prendre le moins mauvais de ce qu’on lui propose. C’est la triste vérité de ce métier.
Mais en 1979, La Guerre des polices est encore un triomphe commercial…
Oui mais moi, j’étais là seulement pour décorer. J’approchais des 40 ans et après, on ne m’a plus rien proposé de bien fameux. Mieux valait ne pas insister.
Vous avez donc tout arrêté pour vous consacrer à vos filles et à l’écriture de contes pour enfants… Sans regrets ni souffrance ?
Non, j’en avais assez qu’on me propose si peu alors que j’étais prête à donner tellement. J’étais trop insatisfaite, les bons moments étaient si fugitifs, et l’angoisse trop grande
Mais vous aurez joué dans un pur chef-d’œuvre : Nous ne vieillirons pas ensemble, le premier grand succès de Maurice Pialat…
A l’époque, on me proposait presque tout. Mais là, je connaissais Pialat par Claude Berri, avec lequel je vivais. Maurice et sa Colette – mon personnage du film – venaient manger à la maison. Quand on pense que c’est un couple dans une voiture pendant tout le film, et ça passe, c’est le génie de Pialat. Quand Jean-Pierre Rassam a voulu arrêter le film pour complaire à son grand copain Jean Yanne qui ne s’entendait pas du tout avec Pialat, j’en étais malade. Et le lundi, je suis quand même arrivée sur le plateau. Alors ils ont bien été obligés de continuer à tourner.
Vous lui avez sauvé son film…
Bah, si vous le pensez, alors ça me fait plaisir…
Les Baisers du soleil, de Marlène Jobert (Plon), 240 pages, 19,90 €
{"type":"Banniere-Basse"}