Malgré la nouvelle grille de France 4 et les changements en cours au Mouv’, les deux chaînes jeunesse du service public peinent à trouver leur audience.
Alcootest, Cam clash, Anarchy, Bunker, un partenariat avec Vice (Le Point quotidien) et maintenant un Autre JT “fougueux, drôle, radical et indigné”. C’est peu dire que France 4 a ripoliné son ancienne grille des programmes. Depuis le 31 mars, date de la refonte, la chaîne jeunesse du service public se cherche une identité : ce sera jeunes enfants le matin et jeunes adultes le soir. Mais ces lancements de programmes en pagaille cachent mal des résultats en berne.
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20 % de part d’audience en moins
Durant les six premiers mois de mise au point de ces émissions “punk et transgressives”, la chaîne a perdu 20% de part d’audience, et 48% de recettes publicitaires, malgré un budget de 40 millions d’euros. Lancés fin octobre, Bunker n’a rassemblé que 120 000 spectateurs pour sa première, Anarchy, entre 50 000 et 90 000 spectateurs. “Ça fait partie de la mutation« , se justifie Boris Razon, directeur éditorial de France 4, « on a un cadre, des ambitions, et on fait du mieux qu’on peut”.
0,3% d’audience pour Le Mouv’
Côté radio, le service public fait encore moins le malin. Malgré un budget confortable de 17 millions d’euros, Le Mouv a perdu la moitié de son public en 5 ans pour plafonner sous la barre du 0,3% d’audience – soit la marge d’erreur de Médiamétrie. Au point où certains envisagent de supprimer la station. “Les plus jeunes doivent avoir une expérience avec le service public sans quoi ils n’y reviendront jamais. C’est un enjeu majeur pour Radio France”, se défend Bruno Laforestrie, cinquième directeur du Mouv en quatre ans, arrivé aux commandes au mois de mai. Un argument qui fait mouche alors que l’âge moyen des auditeurs du groupe tourne autour de 56 ans.
« Pas un problème de désertion, mais de programmation »
La nouvelle grille est prévue pour janvier. Entre temps, le nouveau directeur fait le ménage parmi les émissions de talk chéries par l’ancien patron de Radio France, Jean-Luc Hees. “La radio reste un média des jeunes : ils sont 78,2% à l’écouter tous les jours contre 79,5% il y a 5 ans », explique Bruno Laforestrie, « ce n’est pas un problème de désertion mais un problème de programmation”.
Exit les 69 voix qui intervenaient chaque semaine sur l’antenne, on passe à 35 environ. “C’était une erreur d’imiter France Inter », reconnaît Nour-Eddine Zidane, nouveau rédacteur en chef du Mouv, « si on est passionné par l’actu, on écoute France Info ou Europe 1”. Bruno Laforestrie surenchérit : “On ne peut pas abandonner la musique quand on veut faire une radio jeune : 80% des 15-30 ans veulent d’abord de la musique à la radio”.
Certes, mais quelle musique? Jadis étiquetée rock, Le Mouv a pris une direction plus urbaine sous la houlette de Rachid Bentaleb, ex de Trace Urban. “Impossible de trouver sa place si on oublie ce que le public aime », se justifie Bruno Laforestrie, en prenant exemple sur la BBC, « je prends en considération 50% de ce que le public plébiscite et je complète avec la documentation dont on dispose ici”. Une démarche analytique qui se traduit sur le terrain : une dizaine de mercenaires ont été envoyés à Marseille, Limoges ou Rennes pour affiner les goûts locaux. Résultat, le nouveau Mouv jongle entre Maroon 5 et Georgio, Black M et Arctic Monkeys.
« En voulant s’adresser à tout le monde, on ne s’adresse à personne”
“C’est comme si vous alliez dans un resto qui faisait à la fois thaï, mexicain, libanais et couscous : tout ne va pas être de qualité égale. Quand on veut manger un couscous, on va dans un couscous”, pointe Fanny Temam, directrice des programmes à Ouï FM, deuxième station musicale d’Ile-de-France (avec 3 millions d’euros de budget). Emmanuel Rials, président de la radio rock, complète: “le format de ‘Jack FM’, où on passe des morceaux aléatoires, ne marche pas en France”. “En voulant s’adresser à tout le monde, on ne s’adresse à personne”, tranche Fanny Temam.
Chaine hybride et peu identifiable
Un problème d’identité que l’on retrouve aussi sur France 4. “Le renouvellement de la ligne éditoriale en a fait une chaîne hybride et peu identifiable, partagée entre la jeunesse en journée et les nouvelles écritures le soir, comme la slow tv Tokyo Reverse, bide d’audience”, critique Sandrine Roustan dans une interview à Télé 2 semaines en mai 2014, ex-patronne de la chaîne jeune. Boris Razon évacue : “on voit ça comme une évolution assez naturelle des téléspectateurs dans la journée”.
Comme pour bien différencier les publics, France 4 s’est associée à Vice pour créer une émission quotidienne de reportage. Une façon de capter son aura subversive? “Non », corrige d’entrée Clémentine Duzer, productrice du Point quotidien, « France 4 n’est pas venu chercher les contenus impertinents du magazine Vice, mais des reportages sérieux. Si ce n’était qu’une question d’image, on nous aurait demandé de réaliser l’émission hebdomadaire qui est beaucoup plus sexy”. La collaboration fonctionne : la chaîne a déjà commandé des docus de 52 minutes dans la lignée de ceux consacrés au punk chinois ou à Tinder.
Toujours « Un gars, une fille » et Fort Boyard…
“On installe des lignes de documentaires gonzo identifiables, ce que ne font pas les autres chaînes”, sourit Boris Razon. Place aussi au rugby féminin (record d’audience) ou aux émissions de musique, délaissées par les autres chaînes. Mais à côté de ces innovations, on trouve des émissions multi-rediffusées comme Un gars Une fille ou Fort Boyard. Pas très transgressif…
La concurrence d’Internet
Un problème marketing auquel vient s’ajouter un challenge structurel : la concurrence d’Internet. “La télévision n’est plus un média évident pour les jeunes », analyse Boris Razon, qui a gardé la casquette de chef des Nouvelles écritures à France télé, « on essaie de trouver un ancrage numérique permanent. Nos programmes doivent avoir plusieurs vies”. Il cite l’exemple de Cam Clash, dont les diffusions sur YouTube atteignent 500 000 vues. C’est d’ailleurs sur l’aspect “second écran” que s’illustre la chaîne : le programme interactif Anarchy a convaincu 2000 internautes de participer au scénario.
L’ancrage numérique passe aussi par la recherche de nouvelles formes de narration. “L’âge moyen du téléspectateur augmente. Pour le faire redescendre, deux solutions : utiliser une forme d’expression décalée ou créer un monde normé par l’univers digital”, décrypte Claire Barsacq, animatrice d’On n’est plus des pigeons. Un double mantra qui trouve sa place dans l’émission : tournages à la GoPro, présentation en mode selfie, ton convivial, et mises en situation rigolotes pour raconter le coût de la vie en colocation ou le prix des loisirs pour les chômeurs…
« La télé ne doit pas singer Internet »
Attention néanmoins. “La télé a longtemps pensé qu’elle pourrait absorber Internet. Mais ce sont deux mondes qui ne se laissent pas vampiriser. Tout comme on ne peut pas mettre une casquette à l’envers et parler en verlan pour s’adresser aux jeunes, la télé ne doit pas singer Internet, met en garde la journaliste. Il faut proposer des choses innovantes si on veut exister”.
Au Mouv, la question du web se pose moins. Bien sûr, Internet est pris en compte dans le cadre de la stratégie marketing : on tease les sujets via les comptes Twitter ou Instagram maison, on publie des versions longues des interviews diffusées… Pour la nouvelle mouture, Bruno Laforestrie veut mettre à l’antenne quelques sommités venues de YouTube. Un moyen de faire le lien radio-Internet. Dans le contenu aussi, où un sujet sur la diffusion des photos nues de Jennifer Lawrence sur 4chan aurait été passé à la trappe si les éléments les plus jeunes – et les plus connectés – de la rédaction ne s’étaient pas imposés.
Alors faut-il être jeune pour réussir à parler aux jeunes? “La jeunesse n’est pas qu’une question de tranche d’âge. C’est un état d’esprit”, assure Boris Razon. Un état d’esprit que le service public cherche encore à installer.
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