Barbet Schroeder transcende un matériau ordinaire grâce à une formidable direction d’acteurs et à une mise en scène aussi rigoureuse qu’élégante.
Sa carrière européenne l’avait catalogué cinéaste « à sujet » : la drogue dans More, le sadomasochisme dans Maîtresse, le jeu dans Tricheurs, à mi-chemin entre le reportage de société et l’autobiographie. Intégré au système américain, Barbet Schroeder enchaîne thriller, film de procès (Le Mystère von Bülow), mélodrame et film noir (Kiss of death, remake du film d’Hathaway).
Le genre remplace le sujet et il s’agit d’un vrai choix de cinéaste cinéphile de la part du plus subtil, modeste et malin des nouveaux émigrés à Hollywood. Son dernier film le prouve, de façon encore plus radicale que les précédents : cette fois-ci, Schroeder ne rend plus hommage au cinéma hollywoodien des années 40 et 50 où la moindre série B gardait sa dignité. L’Enjeu se situe dans la lignée la plus commerciale du cinéma d’action actuel, c’est-à-dire entre le film de poursuite (au mieux Le Fugitif, au pire Speed ) et les histoires de supercriminels fascinants de force et d’intelligence (Le Silence des agneaux, Les Nerfs à vif, pour le meilleur). Ici, un flic n’a que quelques heures pour capturer vivant un redoutable tueur condamné à perpétuité, dont la moelle épinière pourrait sauver son fils cancéreux, mais qui a profité de son hospitalisation pour échapper à la surveillance de la police.
Schroeder confirme une qualité, constante chez lui : la direction d’acteurs. Andy Garcia et Michael Keaton ont rarement été aussi bons. Mais c’est surtout la rigueur de sa mise en scène qui fait la différence avec les monstrueuses productions Bruckenheimer (Rock, Les Ailes de l’enfer…) réalisées par de jeunes mercenaires du clip et de la pub mais qui constituent aujourd’hui hélas la norme du cinéma d’action. La précision de L’Enjeu détonne dans un paysage audiovisuel soumis au grand-angulaire, au montage hystérique et aux espaces chewing-gum. C’est un film langien, tant par son sujet (comme dans Règlements de comptes, un flic transgresse la loi à des fins privées) que par sa mise en scène (même si Lang, plus sec, se serait contenté de quelques coups de feu et aurait réduit le nombre de cascades et de poursuites).
Enfermé pendant la majeure partie du film dans un immense hôpital, le spectateur ne se perd jamais. C’est du cinéma d’architecte (encore Lang) et Schroeder joue avec la plasticité des décors qui enrichit la profondeur psychologique des personnages et permet au récit d’accéder à une dimension cérébrale, quelque part entre le conte initiatique et le rêve féerique. L’hôpital devient en effet un site allégorique, scindé en deux ailes : un bâtiment ultramoderne la conscience, pour aller vite où l’enfant pourrait être opéré ; et un autre, vétuste et gothique l’inconscient , les deux étant reliés par une symbolique passerelle que le tueur fait exploser. Instaurant le chaos afin de contrôler les lieux, il surveille et téléguide le flic, parti dans de labyrinthiques circonvolutions corticales à la double recherche de son fils et du mauvais donneur. Pris en otage, l’enfant malade se retrouve ballotté entre deux figures paternelles, son père prêt à sacrifier sa carrière pour le sauver et le criminel, à la fois bête traquée et manipulateur, avec qui il partage brièvement le même formidable instinct de survie et d’adaptation.
Quant à la fin du film, il serait erroné de la réduire à une simple pirouette. Elle souligne par l’absurde la sérialité des scénarios en forme de mécaniques perpétuelles, avides de satisfaire un public jamais rassasié. Par cette ultime touche ironique, Schroeder démontre sa maîtrise et sa parfaite intelligence d’une matière ingrate, qu’il parvient à améliorer avec une rare élégance, en la rendant plus belle, moins bête, et même émouvante.
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L’Enjeu de Barbet Schroeder, avec Andy Garcia, Michael Keaton, Marcia Gay Harden…
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